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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/53

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des îles kerguelen à l’île du prince-édouard

accommodant. Il ne s’agissait, d’ailleurs, que d’une traversée relativement courte, puisque l’Halbrane me débarquerait à Tristan d’Acunha. J’entrai donc en possession de cette cabine que je ne devais pas occuper plus de quatre à cinq semaines.

Sur l’avant du mât de misaine, assez rapproché du centre — ce qui allongeait le bordé de la trinquette, — était amarrée la cuisine par des saisines solides. Au-delà s’ouvrait le capot, doublé de grosse toile cirée. Par une échelle il donnait accès au poste de l’équipage et à l’entrepont. Par mauvais temps, on rabaissait hermétiquement ce capot, et le poste était à l’abri des paquets de mer qui se brisaient contre les joues du navire.

Les huit hommes de l’équipage avaient nom Martin Holt, maître voilier ; Hardie, maître calfat ; Rogers, Drap, Francis, Gratian, Burry, Stern, matelots de vingt-cinq à trente-cinq ans d’âge, tous Anglais des côtes de la Manche et du canal Saint-Georges, tous très entendus à leur métier, tous remarquablement disciplinés sous une main de fer.

J’ai à le noter dès le début : l’homme, d’une énergie exceptionnelle, auquel ils obéissaient sur un mot, sur un geste, ce n’était pas le capitaine de l’Halbrane, c’était le second officier, le lieutenant Jem West, à cette époque dans sa trente-deuxième année.

Je n’ai jamais rencontré, au cours de mes voyages à travers les océans, un caractère de pareille trempe. Jem West était né sur mer, n’ayant vécu, pendant son enfance, qu’à bord d’une gabare, dont son père était le patron et sur laquelle vivait toute la famille. À aucune époque de son existence, il n’avait respiré d’autre air que l’air salin de la Manche, de l’Atlantique ou du Pacifique. Durant les relâches, il ne débarquait que pour les nécessités de son service, fût-ce à l’État ou au commerce. S’agissait-il de quitter un navire pour un autre, il y portait son sac de toile, et n’en bougeait plus. Marin dans l’âme, ce métier était toute sa vie. Lorsqu’il ne naviguait pas au réel, il naviguait à l’imaginaire. Après avoir été mousse, novice, matelot, il devint quartier-maître, puis maître, puis lieutenant, et