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des îles kerguelen à l’île du prince-édouard

« Monsieur Jeorling, demanda-t-il, avez-vous cherché à savoir pour quelle raison j’avais changé d’avis au sujet de votre embarquement ?…

— J’ai cherché, en effet, et je n’ai pas trouvé, capitaine. Peut-être, en votre qualité d’Anglais… n’ayant point affaire à un compatriote… ne teniez-vous pas…

— Monsieur Jeorling, c’est précisément parce que vous êtes Américain que je me suis décidé, en fin de compte, à vous offrir passage sur l’Halbrane

— Parce que je suis Américain ?… répondis-je assez surpris de l’aveu.

— Et aussi… parce que vous êtes du Connecticut…

— J’avoue ne pas encore comprendre…

— Vous aurez compris si j’ajoute que, dans ma pensée, puisque vous étiez du Connecticut, puisque vous aviez visité l’île Nantucket, il était possible que vous eussiez connu la famille d’Arthur Gordon Pym…

— Ce héros dont notre romancier Edgar Poe a raconté les surprenantes aventures ?…

— Lui-même, monsieur, — récit qu’il a fait d’après le manuscrit où étaient relatés les détails de cet extraordinaire et désastreux voyage à travers la mer Antarctique ! »

Je crus rêver à entendre le capitaine Len Guy parler de la sorte !… Comment… il croyait à l’existence d’un manuscrit d’Arthur Pym ?… Mais le roman d’Edgar Poe était-il autre chose qu’une fiction, une œuvre d’imagination du plus prodigieux de nos écrivains d’Amérique ?… Et voici qu’un homme de bon sens admettait cette fiction comme une réalité…

Je demeurai sans répondre, me demandant in petto à qui j’avais affaire.

« Vous avez entendu ma question ?… reprit le capitaine Len Guy en insistant.

— Oui… sans doute… capitaine… sans doute… et je ne sais si j’ai bien saisi…