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Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/9

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les îles kerguelen

quatre brasses d’eau. Après avoir doublé, au nord, le cap François que le Table-Mount domine de douze cents pieds, regardez à travers l’arcade de basalte, largement évidée à sa pointe. Vous apercevrez une étroite baie, couverte par des îlots contre les furieux vents de l’est et de l’ouest. Au fond se découpe Christmas-Harbour. Que votre navire y donne directement en se tenant sur tribord. Lorsqu’il sera rendu à son poste de mouillage, il pourra rester sur une seule ancre, avec facilité d’évitage, tant que la baie ne sera pas prise par les glaces.

D’ailleurs, les Kerguelen possèdent d’autres fiords, et par centaines. Leurs côtes sont déchiquetées, effilochées comme le bas de jupe d’une pauvresse, surtout la partie comprise entre le nord et le sud-est. Les îlets et les îlots y fourmillent. Le sol, d’origine volcanique, se compose de quartz, mélangé d’une pierre bleuâtre. L’été venu, il y pousse des mousses verdoyantes, des lichens grisâtres, diverses plantes phanérogames, de rudes et solides saxifrages. Un seul arbuste y végète, une espèce de chou d’un goût très âcre, qu’on chercherait vainement en d’autres pays.

Ce sont bien là les surfaces qui conviennent, dans leurs rookerys, à l’habitat des pingouins royaux ou autres, dont les bandes innombrables peuplent ces parages. Vêtus de jaune et de blanc, la tête rejetée en arrière, leurs ailes figurant les manches d’une robe, ces stupides volatiles ressemblent de loin à une file de moines processionnant le long des grèves.

Ajoutons que les Kerguelen offrent de multiples refuges aux veaux marins à fourrure, aux phoques à trompe, aux éléphants de mer. La chasse ou la pêche de ces amphibies, assez fructueuses, peuvent alimenter un certain commerce qui attirait alors de nombreux navires.

Ce jour-là, je me promenais sur le port, lorsque mon aubergiste m’accosta et me dit :

« À moins que je ne me trompe, le temps commence à vous paraître long, monsieur Jeorling ? »