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le sphinx des glaces

tance qui sépare l’île du Prince-Édouard de celle de Tristan d’Acunha, — deux mille trois cents milles environ, — serait franchie, et, comme l’avait annoncé le bosseman, il n’aurait pas été nécessaire de changer une seule fois les amures. L’invariable brise du sud-est bien établie, quelquefois au grand frais, n’exigeait qu’une diminution des voiles hautes.

Du reste, le capitaine Len Guy laissait à Jem West le soin de manœuvrer, et l’audacieux porte-voile, — que l’on me passe cette expression — ne se décidait à prendre des ris qu’à l’instant où la mâture menaçait de venir en bas. Mais je ne craignais rien, et il n’y avait aucune avarie à redouter avec un tel marin. Il avait trop l’œil à son affaire.

« Notre lieutenant n’a pas son pareil, me dit un jour Hurliguerly, et il mériterait de commander un vaisseau amiral !

— En effet, ai-je répondu, Jem West me paraît être un véritable homme de mer.

— Et aussi, quelle goélette, notre Halbrane ! Félicitez-vous, monsieur Jeorling, et félicitez-moi puisque j’ai pu amener le capitaine Len Guy à changer d’avis à votre sujet !

— Si c’est vous qui avez obtenu ce résultat, bosseman, je vous en remercie.

— Et il y a de quoi, car il hésitait diantrement, notre capitaine, malgré les instances du compère Atkins ! Mais je suis parvenu à lui faire entendre raison…

— Je ne l’oublierai pas, bosseman, je ne l’oublierai pas, puisque, grâce à votre intervention, au lieu de me morfondre aux Kerguelen, je ne tarderai pas à être en vue de Tristan d’Acunha…

— Dans quelques jours, monsieur Jeorling. Voyez-vous, d’après ce que j’ai ouï dire, on s’occupe maintenant en Angleterre et en Amérique de bateaux qui ont une machine dans le ventre, et des roues dont ils se servent comme un canard de ses pattes !… C’est bien, et l’on saura ce que ça vaut à l’usage. M’est avis, pourtant, que jamais ces bateaux-là ne pourront lutter avec une belle frégate