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Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/112

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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

avait reçu une très cordiale et très généreuse hospitalité. Et voici ce qu’il en dit :

« M. Marchal, un Vénézuélien déjà d’un âge avancé, est venu, depuis une quinzaine d’années, se fixer à la Tigra, située en amont de la Urbana. C’est un vrai sage, M. Marchal. Il a abandonné la politique pour l’élevage des bestiaux. Il a fondé un hato, dont le corral renferme une centaine d’animaux, soignés par quelques péons et leurs familles. Autour du hato s’étendent des champs de manioc, de maïs, de canne à sucre, délimités par des bordures de bananiers superbes, et qui pourvoient largement à l’alimentation de ce petit monde heureux et tranquille. »

Ce M. Marchal, dont quelques affaires avaient exigé la présence à la Urbana, s’y trouvait donc à l’arrivée des pirogues. Il s’y était transporté avec sa curiare, conduite par deux de ses hommes, et, descendu chez le chef civil, son ami, il faisait tout naturellement partie des personnes invitées à cette soirée.

Qu’on ne s’attende pas à une réception du high-life dans cette petite bourgade, au fond des llanos de l’Orénoque. Mais, à défaut des pâtisseries fines, des confiseries délicates, des vins de grande marque, des liqueurs recherchées, il y eut des gâteaux confectionnés par la maîtresse de maison et ses filles, — sans parler d’un franc et cordial accueil. On servit quelques tasses de ce délicieux café de bruquilla, qui provient d’une légumineuse herbacée, cultivée au hato de M. Marchal.

Cet excellent vieillard prit un extrême plaisir à causer avec Jean de Kermor en la langue du pays. Il lui rappela que, cinq ans avant, son compatriote avait séjourné quelque temps dans son hato, — trop peu à son vif regret.

« Mais il avait une telle impatience de continuer son aventureux voyage ! ajouta M. Marchal. C’est un hardi pionnier, mon cher enfant. Dédaigneux du danger, il a reconnu notre fleuve national jusqu’à ses sources, et au risque de sa vie. Voilà un Français qui honore la France ! »