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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

— Oui… un tapir, répondit Jacques Helloch, et quel mal y a-t-il à tuer un tapir ?…

— Aux pirogues… aux pirogues ! » cria vivement le sergent Martial.

En effet, la population paraissait sur le point de se livrer à des actes de violence. Ces Indiens, si pacifiques, si accueillants, si serviables, étaient maintenant en proie à une véritable fureur. Quelques-uns s’étaient armés d’arcs et de flèches. Leurs clameurs ne cessaient de grossir. Ils menaçaient de se jeter sur les étrangers. Le capitan Caribal ne parviendrait que très difficilement à les contenir, en admettant qu’il le voulût, et le danger s’accroissait à chaque seconde.

Était-ce donc pour ce seul motif que les chasseurs avaient abattu un tapir ?…

Uniquement, et il était regrettable qu’avant leur départ, Jean, conformément à ce que racontait son guide, ne les eût pas avertis de ne jamais toucher à un poil de ce pachyderme. C’est, paraît-il, un animal sacré aux yeux de ces indigènes enclins à toutes les superstitions, et, comme tels, portés par nature à admettre les transformations de la métempsycose.

Non seulement ils croient aux esprits, mais ils regardent le tapir comme un de leurs aïeux, le plus vénérable et le plus vénéré des ancêtres piaroas. C’est dans le corps d’un tapir que va se loger l’âme de l’Indien, quand il meurt. Or, un tapir de moins, c’est un logement de moins pour ces âmes, qui risqueraient d’errer indéfiniment à travers l’espace, faute de domicile. De là, cette défense absolue d’attenter aux jours d’un animal destiné à cette honorable fonction de logeur, et, lorsque l’un d’eux a été mis à mort, la colère de ces Piaroas peut les porter aux plus redoutables représailles.

Cependant, ni M. Miguel ni Jacques Helloch ne voulaient abandonner le cerf et le cabiai, dont le trépas n’entraînait aucune responsabilité. Aussi les mariniers, qui étaient accourus, s’en saisirent-ils et tous de se diriger vers les pirogues.