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PREMIÈRE ÉTAPE.

la bourgade, il cherchait précisément une occasion de se rendre à Santa-Juana où, disait-il, le Père Esperante ne refuserait pas de l’admettre au service de la Mission. Or, ayant appris que le fils du colonel de Kermor avait résolu de se rendre à Santa-Juana, et dans quel but il entreprenait ce voyage, Jorrès s’était empressé de s’offrir comme batelier. Valdez, auquel il manquait un homme, accepta son offre. Cet Espagnol paraissait être doué d’intelligence, bien que la dureté de ses traits, le feu de son regard, ne prévinssent pas trop en sa faveur. Il était, d’ailleurs, de tempérament taciturne et peu communicatif.

Il est bon d’ajouter que les patrons Valdez et Parchal avaient déjà remonté le fleuve jusqu’au rio Mavaca, un des tributaires de gauche, à trois cent cinquante kilomètres environ en aval du massif de la Parima, d’où s’épanchent les premières eaux du grand fleuve.

Il convient de faire remarquer aussi que les pirogues employées sur le haut Orénoque sont ordinairement de construction plus légère que celles du cours moyen. Mais la Gallinetta et la Moriche, de dimensions restreintes, n’avaient point paru impropres à ce genre de navigation. On les avait visitées avec soin, radoubées dans leurs fonds, remises en parfait état. Au mois d’octobre, la saison sèche n’a pas encore abaissé à son minimum l’étiage du fleuve. Sa profondeur devait donc suffire au tirant d’eau des deux falcas. Mieux valait ne pas les changer pour d’autres, puisque leurs passagers y étaient habitués depuis plus de deux mois.

À l’époque où M. Chaffanjon accomplissait son extraordinaire voyage, il n’existait, en fait de carte, que celle de Coddazzi, généralement peu exacte, et dont le voyageur français avait dû rectifier en maint endroit les erreurs. En conséquence, ce dut être la carte dressée par M. Chaffanjon qui allait servir pendant cette seconde partie de la campagne.

Le vent était favorable, une assez forte brise. Les deux pirogues, voiles hissées à bloc, marchaient rapidement, à peu près sur la même ligne. Les équipages, groupés à l’avant, n’avaient point à faire