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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

daient pas de vue, redoutant que, dans un accès d’aliénation mentale, il ne se précipitât dans le fleuve.

Jacques Helloch, près de Jeanne, étanchait avec un peu d’eau fraîche la soif qui la dévorait, guettant ses moindres paroles, angoissé de ses moindres soupirs. Ne pourrait-il donc sauver celle qu’il aimait d’un si profond, d’un si pur amour, et pour laquelle il eût sacrifié cent fois sa vie ?…

Et alors, la pensée lui venait qu’il aurait dû résister à la volonté de la jeune fille et donner l’ordre de retourner à San-Fernando. C’était insensé de prétendre, en de telles conditions, remonter jusqu’aux sources de l’Orénoque… Les eût-on atteintes, on ne serait pas rendu à Santa-Juana… Si un rio ne mettait pas la Mission en communication avec le fleuve, il serait nécessaire de prendre la voie de terre, de cheminer sous ces interminables forêts par une chaleur accablante…

Mais lorsque Jeanne de Kermor sortait de son assoupissement, lorsque la fièvre lui laissait quelque répit, elle demandait d’une voix inquiète :

« Monsieur Jacques… nous allons toujours dans la bonne direction… n’est-ce-pas ?…

— Oui… Jeanne… Oui !… répondait-il.

— Je pense sans cesse à mon pauvre père !… J’ai rêvé que nous l’avions retrouvé !… Et il vous remerciait… de tout ce que vous aviez fait pour moi… et pour lui… »

Jacques Helloch détournait la tête pour cacher ses larmes. Oui ! il pleurait, cet homme, si énergique, il pleurait de se sentir impuissant devant ce mal qui s’aggravait, devant la mort assise au chevet de cette adorée jeune fille !

Le soir, les pirogues s’arrêtèrent à Pedra Mapaya, d’où elles repartirent de grand matin, naviguant tantôt à la voile, tantôt à la pagaie. Les eaux étant déjà fort basses, les falcas risquèrent plusieurs fois d’échouer sur le fond sablonneux du fleuve.

Pendant cette fatigante journée, les falcas dépassèrent le point