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Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/406

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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

Au surplus, la Mission de Santa-Juana était organisée, au point de vue de la défensive comme de l’offensive. Non pas que le Père Esperante eût la pensée de jamais faire acte de conquête, puisque le territoire dont il disposait était assez vaste pour suffire à ses besoins ; mais il ne voulait pas que l’on vînt l’insulter, ni que ces bandes de malfaiteurs de la pire espèce pussent assaillir la bourgade. Aussi, afin de prévenir tout danger, avait-il agi en militaire. Et, de fait, un missionnaire est-il autre chose qu’un soldat, et s’il a le devoir de sacrifier sa vie, n’a-t-il pas le devoir de défendre les fidèles rangés autour de lui sous le drapeau du christianisme ?

Il a été parlé plus haut des cultures qui contribuaient si largement à la prospérité de la Mission de Santa-Juana. Cependant ce n’était pas son unique source de richesses. Aux champs de céréales confinaient d’immenses plaines, où pâturaient des troupeaux de bœufs, de vaches, dont l’alimentation était assurée par les herbages de la savane et llanera-palma des fourrés. Cet élevage constituait une importante branche de commerce, et il en est d’ailleurs ainsi dans toutes les provinces de la république vénézuélienne. Puis, les Guaharibos avaient une certaine quantité de ces chevaux, dont il existait autrefois tant de milliers autour des ranchos, et nombre d’entre eux servaient au transport et aux excursions des Guaharibos, lesquels devinrent promptement d’excellents cavaliers. De là, ces fréquentes reconnaissances qui pouvaient s’étendre aux environs de la bourgade.

Le Père Esperante était bien tel que l’avaient dépeint M. Mirabal, le jeune Gomo, et aussi le faux Jorrès. Sa physionomie, son attitude, ses mouvements, indiquaient l’homme d’action, d’une volonté toujours prête à se manifester, le chef qui a l’habitude du commandement. Il possédait cette énergie de tous les instants qu’éclaire une vive intelligence. Son œil, ferme et calme, s’imprégnait d’une expression de parfaite bonté, indiquée par le sourire permanent des lèvres que laissait entrevoir une barbe blanchie par l’âge. Il était courageux et généreux, au même degré, — deux qualités qui le plus