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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

purent fournir une longue et rapide étape. Ils ne furent même pas gênés par les marécages herbeux, que l’obscurité ne leur aurait pas permis de traverser, sans le risque de s’y embourber jusqu’à mi-corps.

Au-dessous de la berge, le lit du fleuve présentait un encombrement de roches, qui devait en rendre la navigation presque impossible, même au temps des crues de la saison pluvieuse. Trois mois plus tôt, la Gallinetta et la Moriche n’eussent pas aisément remonté ces « étroits » indiqués sur la carte par les noms de raudal Guereri, raudal Yuvilla, raudal Salvajuo. Il eût fallu recourir au portage, et il est douteux que cette partie du haut Orénoque puisse jamais devenir une voie de communication praticable. À cette hauteur, le cours du fleuve se réduit à quelques filets qui circulaient entre les récifs et mouillaient à peine l’argile blanchâtre des berges.

Cependant, depuis le cerro Ferdinand de Lesseps, sa profondeur s’accroissait graduellement, grâce à l’apport des tributaires de droite et de gauche.

Lorsque le jour reparut, vers cinq heures du matin, le Père Esperante avait atteint un coude du fleuve, à une douzaine de kilomètres de l’embouchure du rio Torrida.

En moins de trois heures, il aurait pris contact avec le patron Parchal et les mariniers restés à la garde des deux falcas.

Vers le sud-ouest, de l’autre côté de l’Orénoque, pointait le pic Maunoir, dont la cime s’éclairait des premiers rayons de l’aube. Sur cette rive s’arrondissait un cerro de six à sept cents mètres d’altitude, dépendant de ce système orographique.

Il ne fut pas un instant question de prendre du repos, — même une heure. Si les Quivas s’étaient dirigés le long du fleuve afin de descendre au campement, s’y trouvaient-ils encore, ou, après avoir déjà pillé les pirogues, ne s’étaient-ils pas enfoncés à travers la savane ?… Qui sait si Alfaniz ne serait pas alors tenté de mettre à exécution ce projet de revenir vers les territoires de l’ouest du Venezuela, emmenant ses prisonniers avec lui ?…

On marcha pendant une heure, et le Père Esperante n’eût pas fait