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À BORD DU SIMON-BOLIVAR.

On le voit, le costume de l’ancien sous-officier était de coupe assez militaire pour que l’on ne pût se méprendre.

Préalablement à ce déjeuner, le sergent Martial avait « tué le ver » en absorbant son anisado, eau-de-vie de canne mélangée d’anis. Mais Jean, qui ne paraissait pas avoir le goût des liqueurs fortes, n’eut pas besoin de recourir à cet apéritif pour faire honneur au repas. Il avait, près de son oncle, pris place à l’extrémité de la salle, et la mine du grognard était si rébarbative que personne ne fut tenté de s’asseoir à son côté.

Quant aux géographes, ils tenaient le centre de la table, et aussi le dé de la conversation. Comme on savait dans quel but ils avaient entrepris ce voyage, les autres passagers ne pouvaient que s’intéresser à ce qu’ils disaient, et pourquoi le sergent Martial eût-il trouvé mal que son neveu les écoutât avec curiosité ?…

Le menu était varié, mais de qualité inférieure, et il convient de ne pas se montrer difficile sur les bateaux de l’Orénoque. À vrai dire, pendant la navigation sur le haut cours du fleuve, n’aurait-on pas été trop heureux d’avoir même de tels bistecas, bien qu’ils parussent avoir été cueillis sur un caoutchouc, de tels ragoûts noyés dans leur sauce jaune-safran, de tels œufs déjà en état d’être mis à la broche, de tels rogatons de volailles qu’une longue cuisson aurait pu seule attendrir. En fait de fruits, des bananes à profusion, soit qu’elles fussent à l’état naturel, soit qu’une adjonction de sirop de mélasse les eût transformées en une sorte de confiture. Du pain ?… oui, assez bon — du pain de maïs, bien entendu. Du vin ?… oui, assez mauvais et coûteux. Tel était cet almuerzo, ce déjeuner, qui, au surplus, fut expédié rapidement.

Dans l’après-midi, le Simon-Bolivar dépassa l’île de la Bernavelle. Le cours de l’Orénoque, encombré d’îles et d’îlots, se resserrait alors, et il fallut que la roue battît ses eaux à coups redoublés pour vaincre la force du courant. D’ailleurs, le capitaine était assez habile manœuvrier pour qu’il n’y eût pas à craindre de s’engraver.

Vers la rive gauche, le fleuve se découpait de multiples anses aux