Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/431

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
388
LE SUPERBE ORÉNOQUE.

Ce fut en 1872 qu’il apprit, avec le naufrage du Norton, la nouvelle que sa femme et son enfant avaient péri dans ce sinistre maritime. Les conditions où s’était produite la catastrophe ne lui permettaient pas de croire que, de ces deux êtres si chers, l’un, sa fille Jeanne, toute petite alors, eût été sauvée. Il ne la connaissait même pas, puisqu’il avait dû quitter la Martinique quelques mois avant sa naissance.

Pendant un an encore, le colonel de Kermor resta à la tête de son régiment. Puis, après avoir donné sa démission, aucun lien de famille ne le rattachant au monde, il résolut de consacrer le reste de sa vie à cette œuvre si généreuse des missions étrangères.

Il y avait toujours eu en lui, avec l’âme d’un soldat, l’âme d’un apôtre. L’officier était tout préparé à se fondre dans le prêtre, le prêtre militant, qui se consacre à la conversion, en d’autres termes, à la civilisation des tribus sauvages.

Le colonel de Kermor, sans avoir mis personne, — pas même le sergent Martial, — dans la confidence de ses projets, quitta secrètement la France en 1875, et se rendit au Venezuela, où tant de tribus indiennes étaient vouées à l’ignorance, à la dégradation physique et morale.

Dès qu’il eut terminé ses études ecclésiastiques dans ce pays, il reçut l’ordination, et entra dans la Compagnie des missions étrangères sous le nom de Père Esperante, qui devait assurer l’incognito de sa nouvelle existence.

Sa démission d’officier datait de 1873, et son ordination datait de 1878, alors qu’il avait quarante-neuf ans.

Ce fut à Caracas que le Père Esperante prit la résolution d’aller vivre sur ces territoires presque inconnus du Venezuela méridional, où les missionnaires se montraient rarement. Nombre de peuplades indigènes n’avaient jamais reçu les enseignements civilisateurs du christianisme, ou, du moins, étaient demeurées à l’état sauvage. Les chercher jusqu’à ces régions limitrophes de l’empire du Brésil, telle fut l’œuvre à laquelle le missionnaire français se sentit appelé,