l’arrière, où MM. Miguel, Varinas et Felipe avaient élu domicile. Il eût été difficile de n’être pas au courant de la question Atabapo-Guaviare-Orénoque, car leurs champions ne parlaient pas d’autre chose et discutaient à haute voix. Plusieurs des passagers se mêlèrent à la conversation, prenant parti pour ou contre. On peut être certain, d’ailleurs, qu’ils n’iraient pas jusqu’à se transporter de leur personne à San-Fernando dans le but d’élucider ce problème géographique.
« Et quel intérêt cela peut-il avoir ?… demanda le sergent Martial à son neveu, lorsque celui-ci l’eut mis au courant de l’affaire. Qu’un fleuve s’appelle d’une façon ou d’une autre, c’est toujours de l’eau qui coule en suivant sa pente naturelle…
— Y songes-tu ! mon oncle, répondit Jean. S’il n’y avait pas de ces questions-là, à quoi serviraient les géographes, et s’il n’y avait pas de géographes…
— Nous ne pourrions pas apprendre la géographie, répliqua le sergent Martial. En tout cas, ce qui est clair, c’est que nous aurons la compagnie de ces disputeurs jusqu’à San-Fernando. »
En effet, à partir de Caïcara, le voyage devrait s’effectuer en commun dans une de ces embarcations auxquelles leur construction permet de franchir les nombreux raudals du moyen Orénoque.
Grâce aux intempéries de cette journée, on ne vit rien de l’île Tigritta. Par compensation, au déjeuner comme au dîner, les convives purent se régaler d’excellents poissons, ces morocotes qui fourmillent en ces parages, et dont il s’expédie des quantités énormes, conservées dans la salure, à Ciudad-Bolivar comme à Caracas.
Ce fut pendant les dernières heures de la matinée que le steamboat passa à l’ouest de l’embouchure du Caura. Ce cours d’eau est l’un des plus considérables affluents de la rive droite, qui vient du sud-est à travers les territoires des Panares, des Inaos, des Arebatos, des Taparitos, et il arrose une des plus pittoresques vallées du Venezuela. Les villages rapprochés des bords de l’Orénoque sont habités par des métis policés, d’origine espagnole. Les plus lointains ne donnent asile qu’à des Indiens, encore sauvages, ces gardiens de