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Page:Verne - Le Testament d’un excentrique, Hetzel, 1899.djvu/108

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le testament d’un excentrique

« Mon maître !… répéta Tommy, d’une voix inquiète, en lui mettant la main sur l’épaule.

— Eh ! qu’est-ce qui te prend, Tommy ?… répliqua Max Réal, très occupé à mélanger du bout de son pinceau un peu de terre de Sienne et de vermillon.

— Mon maître… vous n’entendez pas ?… » s’écria Tommy.

Il aurait fallu être sourd pour ne point entendre les roulements de cette tumultueuse galopade.

Aussitôt, Max Réal de se redresser, de déposer sa palette sur l’herbe et de gagner la lisière de la berge.

À cinq cents pas se mouvait une chevauchée énorme soulevant des nuages de poussière et de vapeur, une sorte d’avalanche qui se précipitait à la surface de la plaine et d’où sortaient des hennissements furieux. En quelques instants, cette avalanche serait sur le bord de la rivière.

Il n’y avait de fuite possible que vers le nord. Aussi, son attirail ramassé, Max Réal, suivi ou plutôt précédé de Tommy, détala-t-il dans cette direction.

La horde qui s’avançait à toute vitesse se composait de plusieurs milliers de ces chevaux et mulets que l’État élevait autrefois dans une réserve sur la rive du Missouri. Mais, depuis que les automobiles et la bicyclette sont à la mode, ces hippomoteurs, — on va jusqu’à les appeler ainsi — abandonnés à eux-mêmes, errent à travers la campagne. Ceux-ci, affolés, galopaient ainsi sans doute depuis plusieurs heures. Aucun obstacle n’ayant pu les arrêter, les champs, les cultures avaient été dévastés sur leur passage, et si la rivière ne leur opposait pas une barrière infranchissable, jusqu’où iraient-ils ?…

Max Réal et Tommy, bien qu’ils courussent à toutes jambes, se sentaient prêts d’être atteints, et ils eussent été écrasés sous ce piétinement terrible, s’ils n’avaient pu grimper aux basses branches d’un vigoureux noyer, le seul arbre qui se dressait à la surface unie de la plaine.