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le testament d’un excentrique

Il était cinq heures quarante-cinq, lorsque le char franchit la porte d’Oakswoods. C’était dans la partie médiane du cimetière, à la pointe du lagon, que se dressait le monument. Le cortège, dans son ordre immuable, accru d’une foule plus bousculante que les agents avaient grand’peine à maintenir, se dirigea vers le lagon sous le couvert des grands arbres.

Le char s’arrêta devant la grille, dont les candélabres jetaient les éblouissantes clartés de leurs lampes à arc au milieu des premières ombres du soir.

En somme, une centaine d’assistants au plus pourraient trouver place à l’intérieur du mausolée. Si donc le programme des obsèques comportait encore quelques numéros, il faudrait qu’ils fussent exécutés à l’extérieur.

Et, en effet, les choses allaient se passer de la sorte. Le char arrêté, les rangs se resserrèrent, tout en respectant les six teneurs de guirlandes, qui devaient accompagner le cercueil jusqu’à son tombeau.

Il s’élevait un bruit confus de cette foule, avide de voir, avide d’entendre. Mais peu à peu le tumulte s’apaisa, les groupes s’immobilisèrent, les murmures s’éteignirent, le silence régna autour de la grille.

C’est alors que furent prononcées les paroles liturgiques par le révérend Bingham, qui avait suivi le défunt jusqu’à sa dernière demeure. L’assistance les écouta avec recueillement, et à cet instant, à cet instant seul, les obsèques prirent un caractère religieux.

À ces paroles, dites d’une voix pénétrante qui s’entendit au loin, succéda l’exécution de la célèbre marche de Chopin, d’un effet si pénétrant dans les cérémonies de ce genre. Mais peut-être l’orchestre l’enleva-t-il d’un mouvement un peu plus vif que ne le portent les indications du maître symphoniste, — mouvement qui correspondait mieux aux dispositions de l’auditoire et aussi du décédé. On était loin des sentiments dont Paris s’inspira aux funérailles de l’un des fondateurs de la République, lorsque la Marseillaise, d’une tonalité si éclatante, fut jouée sur le mode mineur.