Aller au contenu

Page:Verne - Le Testament d’un excentrique, Hetzel, 1899.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
le testament d’un excentrique

Un regret, un seul — et il ne le cachait pas, — c’était de ne pas lui appartenir d’une façon plus complète — de corps comme il l’était d’âme, — et il le répétait souvent.

« Mais pourquoi ?… demandait Max Réal.

— Parce que, si vous étiez mon maître, si vous m’aviez acheté, je serais à vous…

— Et qu’y gagnerais-tu, mon garçon ?…

— J’y gagnerais que vous ne pourriez pas me renvoyer, ce qu’on fait d’un serviteur dont on n’est pas content…

— Eh ! Tommy, qui parle de te renvoyer ?… D’ailleurs, si tu étais mon esclave, je pourrais toujours te vendre…

— N’importe, mon maître, c’est très différent, et ce serait plus sûr…

— En aucune façon, Tommy.

— Si… si… et puis… moi… je ne serais pas libre de m’en aller !

— Eh bien, sois tranquille, si je suis satisfait de ton service… je t’achèterai un jour…

— Et à qui… puisque je ne suis à personne ?…

— À toi… à toi-même… quand je serai riche… et aussi cher que tu voudras ! »

Tommy approuvait de la tête, ses yeux brillant au fond de leur orbite noire, découvrant sa double rangée de dents d’une éclatante blancheur, heureux à la pensée de se vendre un jour à son maître, et ne l’en aimant que davantage.

Inutile de dire combien il était satisfait de l’accompagner pendant cette promenade à travers les États-Unis. Il aurait eu gros cœur à le voir partir seul, même s’il ne se fût agi que d’une séparation de quelques jours… Et que durerait la partie engagée dans ces conditions, si le sort ne se prononçait pas à bref délai, si le gagnant mettait des semaines, et — qui sait, — des mois, à atteindre le soixante-troisième État ?…

Que le voyage dût être court ou non, il fut certainement très maussade pendant cette première journée entre les vitres du wagon brouillées de buée