Page:Verne - Le Tour du monde en quatre-vingts jours.djvu/105

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« Eh bien, monsieur Fix, êtes-vous décidé à venir avec nous jusqu’en Amérique ? demanda Passepartout.

— Oui, répondit Fix les dents serrées.

— Allons donc ! s’écria Passepartout en faisant entendre un retentissant éclat de rire ! Je savais bien que vous ne pourriez pas vous séparer de nous. Venez retenir votre place, venez ! »

Et tous deux entrèrent au bureau des transports maritimes et arrêtèrent des cabines pour quatre personnes. Mais l’employé leur fit observer que les réparations du Carnatic étant terminées, le paquebot partirait le soir même à huit heures, et non le lendemain matin, comme il avait été annoncé.

« Très-bien ! répondit Passepartout, cela arrangera mon maître. Je vais le prévenir. »

À ce moment, Fix prit un parti extrême. Il résolut de tout dire à Passepartout. C’était le seul moyen peut-être qu’il eût de retenir Phileas Fogg pendant quelques jours à Hong-Kong.

En quittant le bureau, Fix offrit à son compagnon de se rafraîchir dans une taverne. Passepartout avait le temps. Il accepta l’invitation de Fix.

Une taverne s’ouvrait sur le quai. Elle avait un aspect engageant. Tous deux y entrèrent. C’était une vaste salle bien décorée, au fond de laquelle s’étendait un lit de camp, garni de coussins. Sur ce lit étaient rangés un certain nombre de dormeurs.

Une trentaine de consommateurs occupaient dans la grande salle de petites tables en jonc tressé. Quelques-uns vidaient des pintes de bière anglaise, ale ou porter, d’autres, des brocs de liqueurs alcooliques, gin ou brandy. En outre, la plupart fumaient de longues pipes de terre rouge, bourrées de petites boulettes d’opium mélangé d’essence de rose. Puis, de temps en temps, quelque fumeur énervé glissait sous la table, et les garçons de l’établissement, le prenant par les pieds et par la tête, le portaient sur le lit de camp près d’un confrère. Une vingtaine de ces ivrognes étaient ainsi rangés côte à côte, dans le dernier degré d’abrutissement.

Fix et Passepartout comprirent qu’ils étaient entrés dans une tabagie hantée de ces misérables, hébétés, amaigris, idiots, auxquels la mercantile Angleterre vend annuellement pour deux cent soixante millions de francs de cette funeste drogue qui s’appelle l’opium ! Tristes millions que ceux-là, prélevés sur un des plus funestes vices de la nature humaine.

Le gouvernement chinois a bien essayé de remédier à un tel abus par des lois sévères, mais en vain. De la classe riche, à laquelle l’usage de l’opium était