Page:Verne - Le Tour du monde en quatre-vingts jours.djvu/128

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occupait Mr. Fogg. Le purser lui répondit qu’il ne connaissait aucun passager de ce nom.

« Pardonnez-moi, dit Passepartout en insistant. Il s’agit d’un gentleman, grand, froid, peu communicatif, accompagné d’une jeune dame…

— Nous n’avons pas de jeune dame à bord, répondit le purser. Au surplus, voici la liste des passagers. Vous pouvez la consulter. »

Passepartout consulta la liste… Le nom de son maître n’y figurait pas.

Il eut comme un éblouissement. Puis une idée lui traversa le cerveau.

« Ah çà ! je suis bien sur le Carnatic ? s’écria-t-il.

— Oui, répondit le purser.

— En route pour Yokohama ?

— Parfaitement. »

Passepartout avait eu un instant cette crainte de s’être trompé de navire ! Mais s’il était sur le Carnatic, il était certain que son maître ne s’y trouvait pas.

Passepartout se laissa tomber sur un fauteuil. C’était un coup de foudre. Et, soudain, la lumière se fit en lui. Il se rappela que l’heure du départ du Carnatic avait été avancée, qu’il devait prévenir son maître, et qu’il ne l’avait pas fait ! C’était donc sa faute si Mr. Fogg et Mrs. Aouda avaient manqué ce départ !

Sa faute, oui, mais plus encore celle du traître qui, pour le séparer de son maître, pour retenir celui-ci à Hong-Kong, l’avait enivré ! Car il comprit enfin la manœuvre de l’inspecteur de police. Et maintenant, Mr. Fogg, à coup sûr ruiné, son pari perdu, arrêté, emprisonné peut-être !… Passepartout, à cette pensée, s’arracha les cheveux. Ah ! si jamais Fix lui tombait sous la main, quel règlement de comptes !

Enfin, après le premier moment d’accablement, Passepartout reprit son sang-froid et étudia la situation. Elle était peu enviable. Le Français se trouvait en route pour le Japon. Certain d’y arriver, comment en reviendrait-il ? Il avait la poche vide. Pas un shilling, pas un penny ! Toutefois, son passage et sa nourriture à bord étaient payés d’avance. Il avait donc cinq ou six jours devant lui pour prendre un parti. S’il mangea et but pendant cette traversée, cela ne saurait se décrire. Il mangea pour son maître, pour Mrs. Aouda et pour lui-même. Il mangea comme si le Japon, où il allait aborder, eût été un pays désert, dépourvu de toute substance comestible.

Le 13, à la marée du matin, le Carnatic entrait dans le port de Yokohama.

Ce point est une relâche importante du Pacifique, où font escale tous les steamers employés au service de la poste et des voyageurs entre l’Amérique du Nord, la Chine, le Japon et les îles de la Malaisie. Yokohama est située dans la