Page:Verne - Le Tour du monde en quatre-vingts jours.djvu/167

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— Je ferai tout pour le ramener vivant en Europe ! » répondit simplement Fix, d’un ton qui marquait une implacable volonté.

Passepartout sentit comme un frisson lui courir par le corps, mais ses convictions à l’endroit de son maître ne faiblirent pas.

Et maintenant, y avait-il un moyen quelconque de retenir Mr. Fogg dans ce compartiment pour prévenir toute rencontre entre le colonel et lui ? Cela ne pouvait être difficile, le gentleman étant d’un naturel peu remuant et peu curieux. En tout cas, l’inspecteur de police crut avoir trouvé ce moyen, car, quelques instants plus tard, il disait à Phileas Fogg :

« Ce sont de longues et lentes heures, monsieur, que celles que l’on passe ainsi en chemin de fer.

— En effet, répondit le gentleman, mais elles passent.

— À bord des paquebots, reprit l’inspecteur, vous aviez l’habitude de faire votre whist ?

— Oui, répondit Phileas Fogg, mais ici ce serait difficile. Je n’ai ni cartes ni partenaires.

— Oh ! les cartes, nous trouverons bien à les acheter. On vend de tout dans les wagons américains. Quant aux partenaires, si, par hasard, madame…

— Certainement, monsieur, répondit vivement la jeune femme, je connais le whist. Cela fait partie de l’éducation anglaise.

— Et moi, reprit Fix, j’ai quelques prétentions à bien jouer ce jeu. Or, à nous trois et un mort…

— Comme il vous plaira, monsieur, » répondit Phileas Fogg, enchanté de reprendre son jeu favori, — même en chemin de fer.

Passepartout fut dépêché à la recherche du stewart, et il revint bientôt avec deux jeux complets, des fiches, des jetons et une tablette recouverte de drap. Rien ne manquait. Le jeu commença. Mrs. Aouda savait très-suffisamment le whist, et elle reçut même quelques compliments du sévère Phileas Fogg. Quant à l’inspecteur, il était tout simplement de première force, et digne de tenir tête au gentleman.

« Maintenant, se dit Passepartout à lui-même, nous le tenons. Il ne bougera plus ! »

À onze heures du matin, le train avait atteint le point de partage des eaux des deux océans. C’était à Passe-Bridger, à une hauteur de sept mille cinq cent vingt-quatre pieds anglais au-dessus du niveau de la mer, un des plus hauts points touchés par le profil du tracé dans ce passage à travers les montagnes Rocheuses. Après deux cents milles environ, les voyageurs se trouveraient enfin sur ces lon-