Page:Verne - Le Tour du monde en quatre-vingts jours.djvu/203

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— La coque en fer et la machine, monsieur. Est-ce conclu ?

— Conclu. »

Et Andrew Speedy, saisissant la liasse de bank-notes, les compta et les fit disparaître dans sa poche.

Pendant cette scène, Passepartout était blanc. Quant à Fix, il faillit avoir un coup de sang. Près de vingt mille livres dépensées, et encore ce Fogg qui abandonnait à son vendeur la coque et la machine, c’est-à-dire presque la valeur totale du navire ! Il est vrai que la somme volée à la banque s’élevait à cinquante-cinq mille livres !

Quand Andrew Speedy eut empoché l’argent :

« Monsieur, lui dit Mr. Fogg, que tout ceci ne vous étonne pas. Sachez que je perds vingt mille livres, si je ne suis pas rendu à Londres le 21 décembre, à huit heures quarante-cinq du soir. Or, j’avais manqué le paquebot de New-York, et comme vous refusiez de me conduire à Liverpool…

— Et j’ai bien fait, par les cinquante mille diables de l’enfer, s’écria Andrew Speedy, puisque j’y gagne au moins quarante mille dollars. »

Puis, plus posément :

« Savez-vous une chose, ajouta-t-il, capitaine ?…

— Fogg.

— Capitaine Fogg, eh bien, il y a du Yankee en vous. »

Et après avoir fait à son passager ce qu’il croyait être un compliment, il s’en allait, quand Phileas Fogg lui dit :

« Maintenant ce navire m’appartient ?

— Certes, de la quille à la pomme des mâts, pour tout ce qui est « bois », s’entend !

— Bien. Faites démolir les aménagements intérieurs et chauffez avec ces débris. »

On juge ce qu’il fallut consommer de ce bois sec pour maintenir la vapeur en suffisante pression. Ce jour-là, la dunette, les rouffles, les cabines, les logements, le faux pont, tout y passa.

Le lendemain, 19 décembre, on brûla la mâture, les dromes, les esparres. On abattit les mâts, on les débita à coups de hache. L’équipage y mettait un zèle incroyable. Passepartout, taillant, coupant, sciant, faisait l’ouvrage de dix hommes. C’était une fureur de démolition.

Le lendemain, 20, les bastingages, les pavois, les œuvres-mortes, la plus grande partie du pont, furent dévorés. L’Henrietta n’était plus qu’un bâtiment rasé comme un ponton.