du monde à accomplir, autrement qu’en théorie et sur le papier, dans ce minimum de temps, avec les moyens de communication actuellement en usage, ce n’était pas seulement impossible, c’était insensé !
Le Times, le Standard, l’Evening-Star, le Morning-Chronicle, et vingt autres journaux de grande publicité, se déclarèrent contre Mr. Fogg. Seul, le Daily-Telegraph le soutint dans une certaine mesure. Phileas Fogg fut généralement traité de maniaque, de fou, et ses collègues du Reform-Club furent blâmés d’avoir tenu ce pari, qui accusait un affaiblissement dans les facultés mentales de son auteur.
Des articles extrêmement passionnés, mais logiques, parurent sur la question. On sait l’intérêt que l’on porte en Angleterre à tout ce qui touche à la géographie. Aussi n’était-il pas un lecteur, à quelque classe qu’il appartînt, qui ne dévorât les colonnes consacrées au cas de Phileas Fogg.
Pendant les premiers jours, quelques esprits audacieux — les femmes principalement — furent pour lui, surtout quand l’Illustrated-London-News eut publié son portrait d’après sa photographie déposée aux archives du Reform-Club. Certains gentlemen osaient dire : « Hé ! hé ! pourquoi pas, après tout ? On a vu des choses plus extraordinaires ! » C’étaient surtout les lecteurs du Daily-Telegraph. Mais on sentit bientôt que ce journal lui-même commençait à faiblir.
En effet, un long article parut le 7 octobre dans le Bulletin de la Société royale de géographie. Il traita la question à tous les points de vue, et démontra clairement la folie de l’entreprise. D’après cet article, tout était contre le voyageur, obstacles de l’homme, obstacles de la nature. Pour réussir dans ce projet, il fallait admettre une concordance miraculeuse des heures de départ et d’arrivée, concordance qui n’existait pas, qui ne pouvait pas exister. À la rigueur, et en Europe, où il s’agit de parcours d’une longueur relativement médiocre, on peut compter sur l’arrivée des trains à heure fixe ; mais quand ils emploient trois jours à traverser l’Inde, sept jours à traverser les États-Unis, pouvait-on fonder sur leur exactitude les éléments d’un tel problème ? Et les accidents de machine, les déraillements, les rencontres, la mauvaise saison, l’accumulation des neiges, est-ce que tout n’était pas contre Phileas Fogg ? Sur les paquebots, ne se trouverait-il pas, pendant l’hiver, à la merci des coups de vent ou des brouillards ? Est-il donc si rare que les meilleurs marcheurs des lignes transocéaniennes éprouvent des retards de deux ou trois jours ? Or, il suffisait d’un retard, un seul, pour que la chaîne de communications fût irréparablement brisée. Si Phileas Fogg manquait, ne fût-ce que de quelques heures, le