Page:Verne - Le Volcan d’or version originale.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui divisent le Dominion[1], dédaigneux du monde officiel, c’était en somme, un philosophe qui aimait à se laisser vivre sans ambition d’aucune sorte.

À son avis, toute modification survenue dans son existence n’aurait pu amener qu’ennuis, préoccupations et diminution de bien-être.

On comprendra donc que ce philosophe n’eût jamais songé au mariage et n’y songeât même pas, bien que trente-deux années eussent passé sur sa tête. Peut-être, si sa mère ne lui avait pas été enlevée — on sait combien les mères aiment à se perpétuer dans leurs petits-enfants — peut-être lui aurait-il donné cette satisfaction de posséder une belle-fille. Mais, dans ce cas, aucun doute à cet égard, la femme de Summy Skim aurait partagé ses goûts. Parmi ces nombreuses familles du Canada où les enfants dépassent souvent les deux douzaines, on lui aurait trouvé soit à la ville soit à la campagne l’héritière qui lui eût convenu, et, dans ces conditions, cette union eût été heureuse. Mais Mme Skim était morte depuis cinq ans, trois années après son mari, et si, depuis longtemps, elle songeait à quelque union pour son fils, celui-ci n’y songeait guère, et vraisemblablement, maintenant que sa mère n’était plus là, jamais éventualité matrimoniale ne se présenterait à son esprit.

Dès les premiers adoucissements de la température de ce rude climat, lorsque le soleil, plus matinal, annonçait le prochain retour de la belle saison, Summy Skim se préparait à quitter sa maison de la rue Jacques Cartier, sans toujours avoir décidé son cousin à reprendre si tôt l’existence rurale. Il se rendait alors à la ferme de Green Valley, à une vingtaine de milles dans le nord du district de Montréal, sur la rive gauche du Saint-Laurent. C’est là qu’il retrouvait la vie de campagne, interrompue par les rigueurs de l’hiver, qui glace tous les cours d’eau et couvre toutes les plaines d’un épais tapis de neige. Il se revoyait là au milieu de ses fermiers, braves gens depuis un demi-siècle au service de la famille. Et comment n’eussent-ils pas éprouvé une affection sincère doublée d’un dévouement à toute épreuve pour ce maître bon, serviable, aimant à rendre service, même s’il fallait payer de sa personne. Aussi ne lui épargnaient-ils pas les démonstrations de joie à son arrivée, non plus que les regrets à l’heure de son départ.

La propriété de Green Valley rapportait bon an mal an une vingtaine de mille francs que se partageaient les deux cousins, le domaine étant resté indivis entre eux comme la maison de Montréal. La culture s’y faisait en grand, le sol étant très fertile en fourrages et en céréales, dont le rendement s’ajoutait à celui de ces bois magnifiques dont les territoires du Dominion sont encore couverts, principalement dans sa partie orientale. La ferme

  1. Dominion est le nom du Canada (note de l’auteur).
19