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LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM

Mais ces rumeurs, aussitôt contredites, étaient inventées à plaisir par des chroniqueurs aux abois dans le but d’entretenir la curiosité de leurs lecteurs. La vérité, c’est que Stahlstadt ne donnait pas signe de vie.

Ce silence absolu, tout en laissant à Marcel le temps de compléter ses travaux de défense, n’était pas sans l’inquiéter quelque peu dans ses rares instants de loisir.

« Est-ce que ce brigand aurait changé ses batteries et me préparerait quelque nouveau tour de sa façon ? » se demandait-il parfois.

Mais le plan, soit d’arrêter les navires ennemis, soit d’empêcher l’investissement, promettait de répondre à tout, et Marcel, en ses moments d’inquiétude, redoublait encore d’activité.

Son unique plaisir et son unique repos, après une laborieuse journée, était l’heure rapide qu’il passait tous les soirs dans le salon de Mme Sarrasin.

Le docteur avait exigé, dès les premiers jours, qu’il vînt habituellement dîner chez lui, sauf dans le cas où il en serait empêché par un autre engagement ; mais, par un phénomène singulier, le cas d’un engagement assez séduisant pour que Marcel renonçât à ce privilège ne s’était pas encore présenté. L’éternelle partie d’échecs du docteur avec le colonel Hendon n’offrait cependant pas un intérêt assez palpitant pour expliquer cette assiduité. Force est donc de penser qu’un autre charme agissait sur Marcel, et peut-être pourra-t-on en soupçonner la nature, quoique, assurément, il ne la soupçonnât pas encore lui-même, en observant l’intérêt que semblaient avoir pour lui ses causeries du soir avec Mme Sarrasin et Mlle Jeanne, lorsqu’ils étaient tous trois assis près de la grande table sur laquelle les deux vaillantes femmes préparaient ce qui pouvait être nécessaire au service futur des ambulances.

« Est-ce que ces nouveaux boulons d’acier vaudront mieux que ceux dont vous nous aviez montré le dessin ? demandait Jeanne, qui s’intéressait à tous les travaux de la défense.

— Sans nul doute, mademoiselle, répondait Marcel.

— Ah ! j’en suis bien heureuse ! Mais que le moindre détail industriel représente de recherche et de peine !… Vous me disiez que le génie a creusé hier cinq cents nouveaux mètres de fossés ? C’est beaucoup, n’est-ce pas ?

— Mais non, ce n’est même pas assez ! De ce train-là nous n’aurons pas terminé l’enceinte à la fin du mois.

— Je voudrais bien la voir finie, et que ces affreux Schultziens arrivassent ! Les hommes sont bien heureux de pouvoir agir et se rendre utiles. L’attente est ainsi moins longue pour eux que pour nous, qui ne sommes bonnes à rien.