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LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM

derbuss, fameux pour avoir le premier, lui simple correspondant du World, annoncé au czar la grosse nouvelle de la capitulation de Plewna, ces grands hommes du reportage n’avaient pas été cette fois plus heureux que leurs confrères. Ils étaient obligés de s’avouer à eux-mêmes que la Tribune et le World ne pourraient encore donner le dernier mot de la faillite Schultze.

Ce qui faisait de ce sinistre industriel un événement presque unique, c’était cette situation bizarre de Stahlstadt, cet état de ville indépendante et isolée qui ne permettait aucune enquête régulière et légale. La signature de Herr Schultze était, il est vrai, protestée à New-York, et ses créanciers avaient toute raison de penser que l’actif représenté par l’usine pouvait suffire dans une certaine mesure à les indemniser. Mais à quel tribunal s’adresser pour en obtenir la saisie ou la mise sous séquestre ? Stahlstadt était restée un territoire spécial, non classé encore, où tout appartenait à Herr Schultze. Si seulement il avait laissé un représentant, un conseil d’administration, un substitut ! Mais rien, pas même un tribunal, pas même un conseil judiciaire ! Il était à lui seul le roi, le grand juge, le général en chef, le notaire, l’avoué, le tribunal de commerce de sa ville. Il avait réalisé en sa personne l’idéal de la centralisation. Aussi, lui absent, on se trouvait en face du néant pur et simple, et tout cet édifice formidable s’écroulait comme un château de cartes.

En toute autre situation, les créanciers auraient pu former un syndicat, se substituer à Herr Schultze, étendre la main sur son actif, s’emparer de la direction des affaires. Selon toute apparence, ils auraient reconnu qu’il ne manquait, pour faire fonctionner la machine, qu’un peu d’argent peut-être et un pouvoir régulateur.

Mais rien de tout cela n’était possible. L’instrument légal faisait défaut pour opérer cette substitution. On se trouvait arrêté par une barrière morale, plus infranchissable, s’il est possible, que les circonvallations élevées autour de la Cité de l’Acier. Les infortunés créanciers voyaient le gage de leur créance, et ils se trouvaient dans l’impossibilité de le saisir.

Tout ce qu’ils purent faire fut de se réunir en assemblée générale, de se concerter et d’adresser une requête au Congrès pour lui demander de prendre leur cause en main, d’épouser les intérêts de ses nationaux, de prononcer l’annexion de Stahlstadt au territoire américain et de faire rentrer ainsi cette création monstrueuse dans le droit commun de la civilisation. Plusieurs membres du Congrès étaient personnellement intéressés dans l’affaire ; la requête, par plus d’un côté, séduisait le caractère américain, et il y avait lieu de penser qu’elle serait couronnée d’un plein succès. Malheureusement, le Congrès