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LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM

« Un demi-milliard !… Un demi-milliard !… répétait-il. Cela fait au moins vingt-cinq millions de rente !… Quand mon père ne m’en donnerait qu’un par an, comme pension, que la moitié d’un, que le quart d’un, je serais encore très-heureux ! On fait beaucoup de choses avec de l’argent ! Je suis sûr que je saurais bien l’employer ! Je ne suis pas un imbécile, n’est-ce pas ? On a été reçu à l’École centrale !… Et j’ai un titre encore !… Je saurai le porter ! »

Il se regardait, en passant, dans les glaces d’un magasin.

« J’aurai un hôtel, des chevaux !… Il y en aura un pour Marcel. Du moment où je serai riche, il est clair que ce sera comme s’il l’était. Comme cela vient à point tout de même !… Un demi-milliard !… Baronnet !… C’est drôle, maintenant que c’est venu, il me semble que je m’y attendais ! Quelque chose me disait que je ne serais pas toujours occupé à trimer sur des livres et des planches à dessin !… Tout de même, c’est un fameux rêve ! »

Octave suivait, en ruminant ces idées, les arcades de la rue de Rivoli. Il arriva aux Champs-Élysées, tourna le coin de la rue Royale, déboucha sur le boulevard. Jadis, il n’en regardait les splendides étalages qu’avec indifférence, comme choses futiles et sans place dans sa vie. Maintenant, il s’y arrêta et songea avec un vif mouvement de joie que tous ces trésors lui appartiendraient quand il le voudrait.

« C’est pour moi, se dit-il, que les fileuses de la Hollande tournent leurs fuseaux, que les manufactures d’Elbeuf tissent leurs draps les plus souples, que les horlogers construisent leurs chronomètres, que le lustre de l’Opéra verse ses cascades de lumière, que les violons grincent, que les chanteuses s’égosillent ! C’est pour moi qu’on dresse des pur-sang au fond des manèges, et que s’allume le Café Anglais !… Paris est à moi !… Tout est à moi !… Ne voyagerai-je pas ? N’irai-je point visiter ma baronnie de l’Inde ?… Je pourrai bien quelque jour me payer une pagode, avec les bonzes et les idoles d’ivoire par-dessus le marché !… J’aurai des éléphants !… Je chasserai le tigre !… Et les belles armes !… Et le beau canot !… Un canot ? que non pas ! mais un bel et bon yacht à vapeur pour me conduire où je voudrai, m’arrêter et repartir à ma fantaisie !… À propos de vapeur, je suis chargé de donner la nouvelle à ma mère. Si je partais pour Douai !… Il y a l’école… Oh ! oh ! l’école ! on peut s’en passer !… Mais Marcel ! il faut le prévenir. Je vais lui envoyer une dépêche. Il comprendra bien que je suis pressé de voir ma mère et ma sœur dans une pareille circonstance ! »

Octave entra dans un bureau télégraphique, prévint son ami qu’il partait et reviendrait dans deux jours. Puis, il héla un fiacre et se fit transporter à la gare du Nord.