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LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM

Les actes étaient rédigés, les témoins racolés, les machines à timbrer de Somerset House prêtes à fonctionner. Herr Schultze s’était rendu. Mis par ledit Sharp au pied du mur, il avait pu s’assurer en frémissant qu’avec un adversaire de moins bonne composition que le docteur Sarrasin, il en eût été certainement pour ses frais. Ce fut bientôt terminé. Contre leur mandat formel et leur acceptation d’un partage égal, les deux héritiers reçurent chacun un chèque à valoir de cent mille livres sterling, payable à vue, et des promesses de règlement définitif, aussitôt après l’accomplissement des formalités légales.

Ainsi se conclut, pour la plus grande gloire de la supériorité anglo-saxonne, cette étonnante affaire.

On assure que le soir même, en dînant à Cobden-Club avec son ami Stilbing, Mr Sharp but un verre de champagne à la santé du docteur Sarrasin, un autre à la santé du professeur Schultze, et se laissa aller, en achevant la bouteille, à cette exclamation indiscrète :

« Hurrah !… Rule Britannia !… Il n’y a encore que nous !… »

La vérité est que le banquier Stilbing considérait son hôte comme un pauvre homme, qui avait lâché pour vingt-sept millions une affaire de cinquante, et, au fond, le professeur pensait de même, du moment, en effet, où lui, Herr Schultze, se sentait forcé d’accepter tout arrangement quelconque ! Et que n’aurait-on pu faire avec un homme comme le docteur Sarrasin, un Celte, léger, mobile, et, bien certainement, visionnaire !

Le professeur avait entendu parler du projet de son rival de fonder une ville française dans des conditions d’hygiène morale et physique propres à développer toutes les qualités de la race et à former de jeunes générations fortes et vaillantes. Cette entreprise lui paraissait absurde, et, à son sens, devait échouer, comme opposée à la loi de progrès qui décrétait l’effondrement de la race latine, son asservissement à la race saxonne, et, dans la suite, sa disparition totale de la surface du globe. Cependant, ces résultats pouvaient être tenus en échec si le programme du docteur avait un commencement de réalisation, à plus forte raison si l’on pouvait croire à son succès. Il appartenait donc à tout Saxon, dans l’intérêt de l’ordre général et pour obéir à une loi inéluctable, de mettre à néant, s’il le pouvait, une entreprise aussi folle. Et dans les circonstances qui se présentaient, il était clair que lui, Schultze, M. D. « privat docent » de chimie à l’Université d’Iéna, connu par ses nombreux travaux comparatifs sur les différentes races humaines, — travaux où il était prouvé que la race germanique devait les absorber toutes, — il était clair enfin qu’il était particulièrement désigné par la grande force constamment créative et destruc-