Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/173

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d’ailleurs, la légèreté relative de ce costume. Et d’abord, Paganel eut bonne idée d’un gouvernement qui ne se ruinait pas en galons. Chacun de ces jeunes bambins portait un fusil à percussion et un sabre, le sabre trop long et le fusil trop lourd pour les petits. Tous avaient la figure basanée, et un certain air de famille. Le caporal instructeur qui les commandait leur ressemblait aussi. Ce devaient être, et c’étaient, en effet, douze frères qui paradaient sous les ordres du treizième.

Paganel ne s’en étonna pas ; il connaissait sa statistique argentine, et savait que dans le pays la moyenne des enfants dépasse neuf par ménage ; mais ce qui le surprit fort, ce fut de voir ces petits soldats manœuvrer à la française et exécuter avec une précision parfaite les principaux mouvements de la charge en douze temps. Souvent même, les commandements du caporal se faisaient dans la langue maternelle du savant géographe.

« Voilà qui est particulier, » dit-il.

Mais Glenarvan n’était pas venu au fort Indépendance pour voir des bambins faire l’exercice, encore moins pour s’occuper de leur nationalité ou de leur origine. Il ne laissa donc pas à Paganel le temps de s’étonner davantage, et il le pria de demander le chef de la garnison. Paganel s’exécuta, et l’un des soldats argentins se dirigea vers une petite maison qui servait de caserne.

Quelques instants après, le commandant parut en personne. C’était un homme de cinquante ans, vigoureux, l’air militaire, les moustaches rudes, la pommette des joues saillante, les cheveux grisonnants, l’œil impérieux, autant du moins qu’on en pouvait juger à travers les tourbillons de fumée qui s’échappaient de sa pipe à court tuyau. Sa démarche rappela fort à Paganel la tournure sui generis des vieux sous-officiers de son pays.

Thalcave, s’adressant au commandant, lui présenta lord Glenarvan et ses compagnons. Pendant qu’il parlait, le commandant ne cessait de dévisager Paganel avec une persistance assez embarrassante. Le savant ne savait où le troupier voulait en venir, et il allait l’interroger, quand l’autre lui prit la main sans façon, et dit d’une voix joyeuse dans la langue du géographe :

« Un Français ?

— Oui ! un Français ! répondit Paganel.

— Ah ! enchanté ! bienvenu ! bienvenu ! Suis Français aussi, répéta le commandant en secouant le bras du savant avec une vigueur inquiétante.

— Un de vos amis ? demanda le major à Paganel.

— Parbleu ! répondit celui-ci avec une certaine fierté, on a des amis dans les cinq parties du monde. »