Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/215

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hurrah de joie, quand un sifflement bien connu se fit entendre. Le galop d’un cheval retentit sur la plaine, et la haute taille de l’Indien se dressa dans l’ombre.

« Thalcave ! s’écria Robert.

— Thalcave ! répondirent ses compagnons d’une voix unanime.

Amigos ! » dit le Patagon, qui avait attendu les voyageurs là où le courant devait les amener, puisqu’il l’y avait conduit lui-même.

En ce moment, il enleva Robert Grant dans ses bras sans se douter que Paganel pendait après lui, et il le serra sur sa poitrine. Bientôt, Glenarvan, le major et les marins, heureux de revoir leur fidèle guide, lui pressaient les mains avec une vigoureuse cordialité. Puis, le Patagon les conduisit dans le hangar d’une estancia abandonnée. Là flambait un bon feu qui les réchauffa, là rôtissaient de succulentes tranches de venaison dont ils ne laissèrent pas miette. Et quand leur esprit reposé se prit à réfléchir, aucun d’eux ne put croire qu’il eût échappé à cette aventure faite de tant de dangers divers, l’eau, le feu et les redoutables caïmans des rivières argentines.

Thalcave, en quelques mots, raconta son histoire à Paganel, et reporta au compte de son intrépide cheval tout l’honneur de l’avoir sauvé. Paganel essaya alors de lui expliquer la nouvelle interprétation du document, et quelles espérances elle permettait de concevoir. L’Indien comprit-il bien les ingénieuses hypothèses du savant ? On peut en douter, mais il vit ses amis heureux et confiants, et il ne lui en fallait pas davantage.

On croira sans peine que ces intrépides voyageurs, après leur journée de repos passée sur l’ombu, ne se firent pas prier pour se remettre en route. À huit heures du matin, ils étaient prêts à partir. On se trouvait trop au sud des estancias et des saladeros pour se procurer des moyens de transport. Donc, nécessité absolue d’aller à pied. Il ne s’agissait, en somme, que d’une quarantaine de milles[1], et Thaouka ne se refuserait pas à porter de temps en temps un piéton fatigué, et même deux au besoin. En trente-six heures, on pouvait atteindre les rivages de l’Atlantique.

Le moment venu, le guide et ses compagnons laissèrent derrière eux l’immense bas-fond encore noyé sous les eaux, et se dirigèrent à travers des plaines plus élevées. Le territoire argentin reprenait sa monotone physionomie ; quelques bouquets de bois, plantés par des mains européennes, se hasardaient çà et là au-dessus des pâturages, aussi rares, d’ailleurs, qu’aux environs des sierras Tandil et Tapalquem ; les arbres indigènes ne se permettent de pousser qu’à la lisière de ces longues prairies et aux approches du cap Corrientes.

  1. Une quinzaine de lieues.