Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/239

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Glenarvan ne s’attendait pas à trouver des renseignements plus précis, et il n’interrogeait le gouverneur de l’île que par acquit de conscience. Il envoya même les embarcations du bord faire le tour de l’île, dont la circonférence est de dix-sept milles au plus. Londres ou Paris n’y tiendrait pas, quand même elle serait trois fois plus grande.

Pendant cette reconnaissance, les passagers du Duncan se promenèrent dans le village et sur les côtes voisines. La population de Tristan d’Acunha ne s’élève pas à cent cinquante habitants. Ce sont des Anglais et des Américains mariés à des négresses et à des Hottentotes du Cap, qui ne laissent rien à désirer sous le rapport de la laideur. Les enfants de ces ménages hétérogènes présentaient un mélange très-désagréable de la roideur saxonne et de la noirceur africaine.

Cette promenade de touristes, heureux de sentir la terre ferme sous leurs pieds, se prolongea sur le rivage auquel confine la grande plaine cultivée qui n’existe que dans cette partie de l’île. Partout ailleurs, la côte est faite de falaises de laves, escarpées et arides. Là, d’énormes albatros et des pingouins stupides se comptent par centaines de mille.

Les visiteurs, après avoir examiné ces roches d’origine ignée, remontèrent vers la plaine ; des sources vives et nombreuses, alimentées par les neiges éternelles du cône, murmuraient çà et là ; de verts buissons, où l’œil comptait presque autant de passereaux que de fleurs, égayaient le sol ; un seul arbre, sorte de phylique, haut de vingt pieds, et le « tusseh, » plante arondinacée gigantesque, à tige ligneuse, sortaient du verdoyant pâturage ; une acène sarmenteuse à graine piquante, des lomaries robustes à filaments enchevêtrés, quelques plantes frutescentes très-vivaces, des ancérines dont les parfums balsamiques chargeaient la brise de senteurs pénétrantes, des mousses, des céleris sauvages et des fougères formaient une flore peu nombreuse, mais opulente. On sentait qu’un printemps éternel versait sa douce influence sur cette île privilégiée. Paganel soutint avec son enthousiasme habituel que c’était là cette fameuse Ogygie chantée par Fénelon. Il proposa à lady Glenarvan de chercher une grotte, de succéder à l’aimable Calypso, et ne demanda d’autre emploi pour lui-même que d’être « une des nymphes qui la servaient. »

Ce fut ainsi que, causant et admirant, les promeneurs revinrent au yacht à la nuit tombante ; aux environs du village paissaient des troupeaux de bœufs et de moutons ; les champs de blé, de maïs, et de plantes potagères importées depuis quarante ans, étalaient leurs richesses jusque dans les rues de la capitale.

Au moment où lord Glenarvan rentrait à son bord, les embarcations du Duncan ralliaient le yacht. Elles avaient fait en quelques heures le tour de