Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/266

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— Que voulez-vous, John ? Si cette contrariété arrivait, il faudrait bien s’y soumettre. Ce ne serait qu’un retard, après tout.

— Sans doute, si la tempête ne s’en mêlait pas.

— Est-ce que vous craignez le mauvais temps ? dit Glenarvan en examinant le ciel, qui, cependant, de l’horizon au zénith, apparaissait libre de nuages.

— Oui, répondit le capitaine, je le dis à Votre Honneur, mais je ne voudrais pas effrayer lady Glenarvan, ni miss Grant.

— Et vous agissez sagement. Qu’y a-t-il ?

— Des menaces certaines de gros temps. Ne vous fiez pas à l’apparence du ciel, mylord. Rien n’est plus trompeur. Depuis deux jours, le baromètre baisse d’une manière inquiétante ; il est en ce moment à vingt-sept pouces[1]. C’est un avertissement que je ne puis négliger. Or, je redoute particulièrement les colères de la mer australe, car je me suis déjà trouvé aux prises avec elles. Les vapeurs qui vont se condenser dans les immenses glaciers du pôle sud produisent un appel d’air d’une extrême violence. De là une lutte des vents polaires et équatoriaux qui crée les cyclones, les tornades, et ces formes multiples des tempêtes contre lesquelles un navire ne lutte pas sans désavantage.

— John, répondit Glenarvan, le Duncan est un bâtiment solide, son capitaine un habile marin. Que l’orage vienne, et nous saurons nous défendre ! »

John Mangles, en exprimant ses craintes, obéissait à son instinct d’homme de mer. C’était un habile « weather-wise, » expression anglaise qui s’applique aux observateurs du temps. La baisse persistante du baromètre lui fit prendre toutes les mesures de prudence à son bord. Il s’attendait à une tempête violente que l’état du ciel n’indiquait pas encore, mais son infaillible instrument ne pouvait le tromper ; les courants atmosphériques accourent des lieux où la colonne de mercure est haute vers ceux où elle s’abaisse ; plus ces lieux sont rapprochés, plus le niveau se rétablit rapidement dans les couches aériennes, et plus la vitesse du vent est grande.

John resta sur le pont pendant toute la nuit. Vers onze heures, le ciel s’encrassa dans le sud. John fit monter tout son monde en haut et amener ses petites voiles ; il ne conserva que sa misaine, sa brigantine, son hunier et ses focs. À minuit, le vent fraîchit. Il ventait grand frais, c’est-à-dire que les molécules d’air étaient chassées avec une vitesse de six toises par seconde. Le craquement des mâts, le battement des manœuvres courantes,

  1. 73,09 centimètres. La hauteur normale de la colonne barométrique est de 76 centimètres.