Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/290

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Le matelot naufragé, prisonnier d’une tribu indigène, se vit emmené dans ces régions intérieures arrosées par le Darling, c’est-à-dire à quatre cents milles au nord du trente-septième parallèle. Là, il vécut fort misérable, parce que la tribu était misérable elle-même, mais non maltraité. Ce furent deux longues années d’un pénible esclavage. Cependant, l’espoir de recouvrer sa liberté le tenait au cœur. Il épiait la moindre occasion de se sauver, bien que sa fuite dût le jeter au milieu de dangers innombrables.

Une nuit d’octobre 1864, il trompa la vigilance des naturels et disparut dans la profondeur de forêts immenses. Pendant un mois, vivant de racines, de fougères comestibles, de gommes de mimosas, il erra au milieu de ces vastes solitudes, se guidant le jour sur le soleil, la nuit sur les étoiles, souvent abattu par le désespoir. Il traversa ainsi des marais, des rivières, des montagnes, toute cette portion inhabitée du continent que de rares voyageurs ont sillonnée de leurs hardis itinéraires. Enfin, mourant, épuisé, il arriva à l’habitation hospitalière de Paddy O’Moore, où il trouva une existence heureuse en échange de son travail.

« Et si Ayrton se loue de moi, dit le colon irlandais, quand ce récit fut achevé, je n’ai qu’à me louer de lui. C’est un homme intelligent, brave, un bon travailleur, et, s’il lui plaît, la demeure de Paddy O’Moore sera longtemps la sienne. »

Ayrton remercia l’Irlandais d’un geste, et il attendit que de nouvelles questions lui fussent adressées. Il se disait, cependant, que la légitime curiosité de ses auditeurs devait être satisfaite. À quoi eût-il répondu désormais qui n’eût été cent fois dit déjà ? Glenarvan allait donc ouvrir la discussion sur un nouveau plan à combiner, en profitant de la rencontre d’Ayrton et de ses renseignements, quand le major, s’adressant au matelot, lui dit :

« Vous étiez quartier-maître à bord du Britannia ?

— Oui, » répondit Ayrton sans hésiter.

Mais, comprenant qu’un certain sentiment de défiance, un doute, si léger qu’il fût, avait dicté cette demande au major, il ajouta :

« J’ai d’ailleurs sauvé du naufrage mon engagement à bord. »

Et il sortit immédiatement de la salle commune pour aller chercher cette pièce officielle. Son absence ne dura pas une minute. Mais Paddy O’Moore eut le temps de dire :

« Mylord, je vous donne Ayrton pour un honnête homme. Depuis deux mois qu’il est à mon service, je n’ai pas un seul reproche à lui faire. Je connaissais l’histoire de son naufrage et de sa captivité. C’est un homme loyal, digne de toute votre confiance. »