Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/331

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du chariot sillonnèrent assez profondément des terrains lacustres, où murmuraient des creeks irréguliers, à demi cachés sous un rideau de roseaux gigantesques. Puis on côtoya de vastes lagunes salées, en pleine évaporation. Le voyage se faisait sans peine, et, il faut ajouter, sans ennui.

Lady Helena invitait les cavaliers à lui rendre visite tour à tour, car son salon était fort exigu. Mais chacun se délassait ainsi des fatigues du cheval et se récréait à la conversation de cette aimable femme. Lady Helena, secondée par miss Mary, faisait avec une grâce parfaite les honneurs de sa maison ambulante. John Mangles n’était pas oublié dans ces invitations quotidiennes, et sa conversation un peu sérieuse ne déplaisait point. Au contraire.

Ce fut ainsi que l’on coupa diagonalement le mail-road de Crowland à Horsham, une route très-poussiéreuse que les piétons n’usaient guère. Quelques croupes de collines peu élevées furent effleurées en passant à l’extrémité du comté de Talbot, et le soir la troupe arriva à trois milles au-dessus de Maryborough. Il tombait une pluie fine, qui en tout autre pays eût détrempé le sol ; mais ici l’air absorbait l’humidité si merveilleusement, que le campement n’en souffrit pas.

Le lendemain, 29 décembre, la marche fut un peu retardée par une suite de monticules qui formaient une petite Suisse en miniature. C’étaient de perpétuelles montées ou descentes, et force cahots peu agréables. Les voyageurs firent une partie de la route à pied, et ne s’en plaignirent pas.

À onze heures, on arriva à Carlsbrook, municipalité assez importante. Ayrton était d’avis de tourner la ville sans y pénétrer, afin, disait-il, de gagner du temps. Glenarvan partagea son opinion, mais Paganel, toujours friand de curiosités, désirait visiter Carlsbrook. On le laissa faire, et le chariot continua lentement son voyage.

Paganel, suivant son habitude, emmena Robert avec lui. Sa visite à la municipalité fut rapide, mais elle suffit à lui donner un aperçu exact des villes australiennes. Il y avait là une banque, un palais de justice, un marché, une école, une église, et une centaine de maisons de brique parfaitement uniformes. Le tout disposé dans un quadrilatère régulier coupé de rues parallèles, d’après la méthode anglaise. Rien de plus simple, mais de moins récréatif. Quand la ville augmente, on allonge ses rues comme les culottes d’un enfant qui grandit, et la symétrie primitive n’est aucunement dérangée.

Une grande activité régnait à Carlsbrook, symptôme remarquable dans ces cités nées d’hier. Il semble qu’en Australie les villes poussent comme des arbres, à la chaleur du soleil. Des gens affairés couraient les rues ; des expéditeurs d’or se pressaient aux bureaux d’arrivage ; le précieux métal,