Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à table, les deux enfants l’un près de l’autre. Robert choisissait les meilleurs morceaux pour son nouveau camarade, et Toliné les acceptait avec une grâce craintive et pleine de charme.

La conversation, cependant, ne languissait pas. Chacun s’intéressait à l’enfant et l’interrogeait. On voulait connaître son histoire. Elle était bien simple. Son passé, ce fut celui de ces pauvres indigènes confiés dès leur bas âge aux soins des sociétés charitables par les tribus voisines de la colonie. Les Australiens ont des mœurs douces. Ils ne professent pas envers leurs envahisseurs cette haine farouche qui caractérise les Nouveaux-Zélandais, et peut-être quelques peuplades de l’Australie septentrionale. On les voit fréquenter les grandes villes, Adélaïde, Sydney, Melbourne, et s’y promener même dans un costume assez primitif. Ils y trafiquent des menus objets de leur industrie, d’instruments de chasse ou de pêche, d’armes, et quelques chefs de tribu, par économie sans doute, laissent volontiers leurs enfants profiter du bénéfice de l’éducation anglaise.

Ainsi firent les parents de Toliné, véritables sauvages du Lachlan, vaste région située au delà du Murray. Depuis cinq ans qu’il demeurait à Melbourne, l’enfant n’avait revu aucun des siens. Et pourtant, l’impérissable sentiment de la famille vivait toujours dans son cœur, et c’était pour revoir sa tribu, dispersée peut-être, sa famille, décimée sans doute, qu’il avait repris le pénible chemin du désert.

« Et après avoir embrassé tes parents tu reviendras à Melbourne, mon enfant ? lui demanda lady Glenarvan.

— Oui, Madame, répondit Toliné en regardant la jeune femme avec une sincère expression de tendresse.

— Et que veux-tu faire un jour ?

— Je veux arracher mes frères à la misère et à l’ignorance ! Je veux les instruire, les amener à connaître et à aimer Dieu ! Je veux être missionnaire ! »

Ces paroles prononcées avec animation par un enfant de huit ans pouvaient prêter à rire à des esprits légers et railleurs ; mais elles furent comprises et respectées de ces graves Écossais ; ils admirèrent la religieuse vaillance de ce jeune disciple, déjà prêt au combat. Paganel se sentit remué jusqu’au fond du cœur, et il éprouva une véritable sympathie pour le petit indigène.

Faut-il le dire ? jusqu’ici, ce sauvage en habit européen ne lui plaisait guère. Il ne venait pas en Australie pour voir des Australiens en redingote ! Il les voulait habillés d’un simple tatouage. Cette mise « convenable » déroutait ses idées. Mais du moment que Toliné eut parlé si ardemment, il revint sur son compte et se déclara son admirateur.