Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/362

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dans la disposition de leurs feuilles. Aucune n’offre sa face au soleil, mais bien sa tranche acérée. L’œil n’aperçoit que des profils dans ce singulier feuillage. Aussi, les rayons du soleil glissent-ils jusqu’à terre, comme s’ils passaient entre les lames relevées d’une persienne.

Chacun fit cette remarque et parut surpris. Pourquoi cette disposition particulière ? Cette question s’adressait naturellement à Paganel. Il répondit en homme que rien n’embarrasse.

« Ce qui m’étonne ici, dit-il, ce n’est pas la bizarrerie de la nature ; la nature sait ce qu’elle fait, mais les botanistes ne savent pas toujours ce qu’ils disent. La nature ne s’est pas trompée en donnant à ces arbres ce feuillage spécial, mais les hommes se sont fourvoyés en les appelant des « eucalyptus ».

— Que veut dire ce mot ? demanda Mary Grant.

— Il vient de εὖ καλύπτω, et signifie je couvre bien. On a eu soin de commettre l’erreur en grec afin qu’elle fût moins sensible, mais il est évident que l’eucalyptus couvre mal.

— Accordé, mon cher Paganel, répondit Glenarvan, et maintenant, apprenez-nous pourquoi les feuilles poussent ainsi.

— Par une raison purement physique, mes amis, répondit Paganel, et que vous comprendrez sans peine. Dans cette contrée où l’air est sec, où les pluies sont rares, où le sol est desséché, les arbres n’ont besoin ni de vent ni de soleil. L’humidité manquant, la sève manque aussi. De là ces feuilles étroites qui cherchent à se défendre elles-mêmes contre le jour et à se préserver d’une trop grande évaporation. Voilà pourquoi elles se présentent de profil et non de face à l’action des rayons solaires. Il n’y a rien de plus intelligent qu’une feuille.

— Et rien de plus égoïste ! répliqua le major. Celles-ci n’ont songé qu’à elles, et pas du tout aux voyageurs. »

Chacun fut un peu de l’avis de Mac Nabbs, moins Paganel, qui, tout en s’essuyant le front, se félicitait de marcher sous des arbres sans ombre. Cependant, cette disposition du feuillage était regrettable ; la traversée de ces forêts est souvent très longue, et pénible par conséquent, puisque rien ne protège le voyageur contre les ardeurs du jour.

Pendant toute la journée, le chariot roula sous ces interminables travées d’eucalyptus. On ne rencontra ni un quadrupède, ni un indigène. Quelques kakatoès habitaient les cimes de la forêt ; mais, à cette hauteur, on les distinguait à peine, et leur babillage se changeait en imperceptible murmure. Parfois, un essaim de perruches traversait une allée lointaine et l’animait d’un rapide rayon multicolore. Mais, en somme, un profond silence régnait dans ce vaste temple de verdure, et le pas des chevaux,