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Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/514

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les enfants

Et Paganel, à son grand regret, ne put s’emparer d’un seul échantillon de ces oiseaux et montrer à l’incrédule major les sanglantes scarifications de leur poitrine.

Mais il fut plus heureux avec un animal bizarre, qui, sous la poursuite de l’homme, du chat et du chien, a fui vers les contrées inhabitées et tend à disparaître de la faune zélandaise. Robert, furetant comme un véritable furet, découvrit dans un nid formé de racines entrelacées une paire de poules sans ailes et sans queue, avec quatre orteils aux pieds, un long bec de bécasse et une chevelure de plumes blanches sur tout le corps. Animaux étranges, qui semblaient marquer la transition des ovipares aux mammifères.

C’était le « kiwi » zélandais, « l’aptérix australis » des naturalistes, qui se nourrit indifféremment de larves, d’insectes, de vers ou de semences. Cet oiseau est spécial au pays. À peine a-t-on pu l’introduire dans les jardins zoologiques d’Europe. Ses formes à demi ébauchées, ses mouvements comiques, ont toujours attiré l’attention des voyageurs, et pendant la grande exploration en Océanie de l’Astrolabe et de la Zélée, Dumont-d’Urville fut principalement chargé par l’Académie des sciences de rapporter un spécimen de ces singuliers oiseaux. Mais, malgré les récompenses promises aux indigènes, il ne put se procurer un seul kiwi vivant.

Paganel, heureux d’une telle bonne fortune, lia ensemble ses deux poules et les emporta bravement avec l’intention d’en faire hommage au jardin des plantes de Paris. « Donné par M Jacques Paganel, » il lisait déjà cette séduisante inscription sur la plus belle cage de l’établissement, le confiant géographe !

Cependant, la petite troupe descendait sans fatigue les rives du Waipa. La contrée était déserte ; nulle trace d’indigènes, nul sentier qui indiquât la présence de l’homme dans ces plaines. Les eaux de la rivière coulaient entre de hauts buissons ou glissaient sur des grèves allongées. Le regard pouvait alors errer jusqu’aux petites montagnes qui fermaient la vallée dans l’est. Avec leurs formes étranges, leurs profils noyés dans une brume trompeuse, elles ressemblaient à des animaux gigantesques, dignes des temps antédiluviens. On eût dit tout un troupeau d’énormes cétacés, saisis par une subite pétrification. Un caractère essentiellement volcanique se dégageait de ces masses tourmentées. La Nouvelle-Zélande n’est, en effet, que le produit récent d’un travail plutonien. Son émersion au-dessus des eaux s’accroît sans cesse. Certains points se sont exhaussés d’une toise depuis vingt ans. Le feu court encore à travers ses entrailles, la secoue, la convulsionne, et s’échappe en maint endroit par la bouche des geysers et le cratère des volcans.