Aller au contenu

Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/583

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
575
du capitaine grant.

« Oui, dit-il, un navire ! un steamer ! il chauffe à toute vapeur ! il vient sur nous ! Hardi, mes braves camarades ! »

Les fugitifs déployèrent une nouvelle énergie, et pendant une demi-heure encore, conservant leur distance, ils enlevèrent la pirogue à coups précipités. Le steamer devenait de plus en plus visible. On distinguait ses deux mâts à sec de toile et les gros tourbillons de sa fumée noire. Glenarvan, abandonnant la barre à Robert, avait saisi la lunette du géographe et ne perdait pas un des mouvements du navire.

Mais que durent penser John Mangles et ses compagnons, quand ils virent les traits du lord se contracter, sa figure pâlir, et l’instrument tomber de ses mains. Un seul mot leur expliqua ce subit désespoir.

« Le Duncan ! s’écria Glenarvan, le Duncan et les convicts !

— Le Duncan ! s’écria John, qui lâcha son aviron et se leva aussitôt.

— Oui ! la mort des deux côtés ! » murmura Glenarvan, brisé par tant d’angoisses.

C’était le yacht, en effet, on ne pouvait s’y méprendre, le yacht avec son équipage de bandits ! Le major ne put retenir une malédiction qu’il lança contre le ciel. C’en était trop !

Cependant, la pirogue était abandonnée à elle-même. Où la diriger ? Où fuir ? Était-il possible de choisir entre les sauvages ou les convicts ?

Un coup de fusil partit de l’embarcation indigène la plus rapprochée, et la balle vint frapper l’aviron de Wilson. Quelques coups de rames repoussèrent alors la pirogue vers le Duncan.

Le yacht marchait à toute vapeur et n’était plus qu’à un demi-mille. John Mangles, coupé de toutes parts, ne savait plus comment évoluer, dans quelle direction fuir. Les deux pauvres femmes, agenouillées, éperdues, priaient.

Les sauvages faisaient un feu roulant, et les balles pleuvaient autour de la pirogue. En ce moment, une forte détonation éclata, et un boulet, lancé par le canon du yacht, passa sur la tête des fugitifs. Ceux-ci, pris entre deux feux, demeurèrent immobiles entre le Duncan et les canots indigènes.

John Mangles, fou de désespoir, saisit sa hache. Il allait saborder la pirogue, la submerger avec ses infortunés compagnons, quand un cri de Robert l’arrêta.

« Tom Austin ! Tom Austin ! disait l’enfant. Il est à bord ! Je le vois ! Il nous a reconnus ! il agite son chapeau ! »

La hache resta suspendue au bras de John.

Un second boulet siffla sur sa tête et vint couper en deux la plus rapprochée des trois pirogues, tandis qu’un hurrah éclatait à bord du Duncan.

Les sauvages, épouvantés, fuyaient et regagnaient la côte.