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les enfants

C’était donc le voyage du retour qui commençait. Triste traversée pour ces courageux chercheurs qui revenaient au port sans ramener Harry Grant ! Aussi l’équipage, si joyeux au départ, si confiant au début, maintenant vaincu et découragé, reprenait-il le chemin de l’Europe. De ces braves matelots, pas un ne se sentait ému à la pensée de revoir son pays, et tous, longtemps encore, ils auraient affronté les périls de la mer pour retrouver le capitaine Grant.

Aussi, à ces hurrahs qui acclamèrent Glenarvan à son retour, succéda bientôt le découragement. Plus de ces communications incessantes entre les passagers, plus de ces entretiens qui égayaient autrefois la route. Chacun se tenait à l’écart, dans la solitude de sa cabine, et rarement l’un ou l’autre apparaissait sur le pont du Duncan.

L’homme en qui s’exagéraient ordinairement les sentiments du bord, pénibles ou joyeux, Paganel, lui qui au besoin eût inventé l’espérance, Paganel demeurait morne et silencieux. On le voyait à peine. Sa loquacité naturelle, sa vivacité française s’étaient changées en mutisme et en abattement. Il semblait même plus complètement découragé que ses compagnons. Si Glenarvan parlait de recommencer ses recherches, Paganel secouait la tête en homme qui n’espère plus rien, et dont la conviction paraissait faite sur le sort des naufragés du Britannia. On sentait qu’il les croyait irrévocablement perdus.

Cependant, il y avait à bord un homme qui pouvait dire le dernier mot de cette catastrophe, et dont le silence se prolongeait. C’était Ayrton. Nul doute que ce misérable ne connût, sinon la vérité sur la situation actuelle du capitaine, du moins le lieu du naufrage. Mais évidemment, Grant, retrouvé, serait un témoin à charge contre lui. Aussi se taisait-il obstinément. De là une violente colère, chez les matelots surtout, qui voulait lui faire un mauvais parti.

Plusieurs fois, Glenarvan renouvela ses tentatives près du quartier-maître. Promesses et menaces furent inutiles. L’entêtement d’Ayrton était poussé si loin, et si peu explicable, en somme, que le major en venait à croire qu’il ne savait rien. Opinion partagée, d’ailleurs, par le géographe, et qui corroborait ses idées particulières sur le compte d’Harry Grant.

Mais si Ayrton ne savait rien, pourquoi n’avouait-il pas son ignorance ? Elle ne pouvait tourner contre lui. Son silence accroissait la difficulté de former un plan nouveau. De la rencontre du quartier-maître en Australie devait-on déduire la présence d’Harry Grant sur ce continent ? Il fallait décider à tout prix Ayrton à s’expliquer sur ce sujet.

Lady Helena, voyant l’insuccès de son mari, lui demanda la permission de lutter à son tour contre l’obstination du quartier-maître. Où un homme