Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/96

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aiguës et passer au-dessus de gouffres que le regard n’osait sonder. En maint endroit, des croix de bois jalonnaient la route et marquaient la place de catastrophes multipliées. Vers deux heures, un immense plateau, sans trace de végétation, une sorte de désert, s’étendit entre des pics décharnés. L’air était sec, le ciel d’un bleu cru ; à cette hauteur, les pluies sont inconnues, et les vapeurs ne s’y résolvent qu’en neige ou en grêle. Çà et là, quelques pics de porphyre ou de basalte trouaient le suaire blanc comme les os d’un squelette, et, par instants, des fragments de quartz ou de gneiss, désunis sous l’action de l’air, s’éboulaient avec un bruit mat, qu’une atmosphère peu dense rendait presque imperceptible.

Cependant, la petite troupe, malgré son courage, était à bout de forces. Glenarvan, voyant l’épuisement de ses compagnons, regrettait de s’être engagé si avant dans la montagne. Le jeune Robert se raidissait contre la fatigue, mais il ne pouvait aller plus loin.

À trois heures, Glenarvan s’arrêta.

« Il faut prendre du repos, dit-il, car il vit bien que personne ne ferait cette proposition.

— Prendre du repos ? répondit Paganel, mais nous n’avons pas d’abri.

— Cependant, c’est indispensable, ne fût-ce que pour Robert.

— Mais non, mylord, répondit le courageux enfant, je puis encore marcher… ne vous arrêtez pas…

— On te portera, mon garçon, répondit Paganel, mais il faut gagner à tout prix le versant oriental. Là, nous trouverons peut-être quelque hutte de refuge. Je demande encore deux heures de marche.

— Est-ce votre avis, à tous ? demanda Glenarvan.

— Oui, » répondirent ses compagnons.

Mulrady ajouta :

« Je me charge de l’enfant. »

Et l’on reprit la direction de l’est. Ce furent encore deux heures d’une ascension effrayante. On montait toujours pour atteindre les dernières sommités de la montagne. La raréfaction de l’air produisait cette oppression douloureuse connue sous le nom de « puna. » Le sang suintait à travers les gencives et les lèvres par défaut d’équilibre, et peut-être aussi sous l’influence des neiges qui à une grande hauteur vicient évidemment l’atmosphère. Il fallait suppléer au défaut de sa densité par des inspirations fréquentes, et activer ainsi la circulation, ce qui fatiguait non moins que la réverbération des rayons du soleil sur les plaques de neige. Quelle que fût la volonté de ces hommes courageux, le moment vint donc où les plus vaillants défaillirent, et le vertige, ce terrible mal des montagnes, détruisit non-seulement leurs forces physiques, mais aussi leur