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LES FRÈRES KIP

qu’elle vit l’image fidèle du capitaine, sa poitrine déchirée au cœur par la lame du poignard, ses yeux démesurément ouverts, dont le regard semblait se fixer sur elle, une crise la saisit, et l’on dut la veiller pendant cette interminable nuit !…

Le lendemain, un médecin fut appelé. Ses soins rendirent un peu de calme à madame Gibson. Mais quelle existence l’attendait au milieu des tristesses de cette maison !

Quelques jours s’écoulèrent. Sous la direction de Karl Kip, on avait achevé le débarquement de la cargaison du brick. Les trois cents tonnes de coprah et les caisses de nacre étaient déposées dans les magasins du comptoir. Actuellement, les matelots s’occupaient à désarmer le navire, à déverguer les mâts, à dépasser les drisses et autres manœuvres courantes, à procéder au nettoyage complet de la cale, du poste, du rouf et du pont. Le James-Cook ne devait pas reprendre la mer avant plusieurs mois. Puis, après que l’équipage eut touché sa paye, on conduisit le brick au fond du port, où il demeura sous la surveillance d’un gardien.

Les frères Kip durent alors prendre domicile à terre. Inutile de dire qu’ils avaient eu des rapports quotidiens avec l’armateur. Ils s’étaient plus d’une fois assis à sa table. Mme Hawkins, qui partageait les sentiments de son mari à leur égard, ne cessait de leur donner des témoignages de sa sympathie.

Mme Gibson ne recevait personne. Une ou deux fois, cependant, elle fit exception pour les deux frères qui, respectant sa douleur, observèrent une extrême réserve vis-à-vis d’elle. Quant à Nat Gibson, il se rendit souvent à bord, et ne put que joindre ses remerciements à ceux de M. Hawkins.

Le 7 janvier, avant que Karl et Pieter Kip eussent quitté le bâtiment, l’armateur vint s’entretenir avec eux de leur situation, et on ne s’étonnera pas s’il fit les propositions suivantes :

« Monsieur Karl, dit-il, je n’ai eu qu’à me louer de votre dévoue-