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VIII

port-arthur.


Un mois après ce jour où les condamnés à mort avaient bénéficié de la commutation de leur peine, deux hommes travaillaient sous le fouet des argousins dans le pénitencier de Port-Arthur.

Ces deux forçats n’appartenaient pas à la même escouade. Séparés l’un de l’autre, ne pouvant échanger ni une parole ni un regard, ils ne partageaient ni la même gamelle ni le même cabanon. Ils allaient, chacun de son côté, vêtus de l’ignoble vareuse du galérien, accablés sous les injures et les coups de la chiourme, au milieu de cette tourbe de bandits que la Grande-Bretagne expédie à ses colonies d’outre-mer. Le matin, ils quittaient le bagne et n’y rentraient que le soir, épuisés de fatigues, insuffisamment soutenus par une grossière nourriture. Ils y reprenaient le lit de camp, côte à côte avec un compagnon de chaîne, cherchant en vain l’oubli dans quelques heures de sommeil. Puis, le jour revenu, alors sous les chaleurs étouffantes de l’été, plus tard sous les terribles froids de l’hiver, ils iraient ainsi jusqu’à l’heure où la mort tant souhaitée les délivrerait de cette abominable existence.

Ces deux hommes étaient les frères Kip, qui, trois semaines avant, avaient été transportés au pénitencier de Port-Arthur.

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, on le sait, la Tasmanie ne fut habitée que par les plus misérables peuplades du globe, des indigènes placés, pourrait-on dire, sur cette limite qui sépare l’animalité de l’humanité. Or, les premiers Européens qui devaient prendre pied sur cette grande île ne valaient guère mieux, sans