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LES FRÈRES KIP

plus de la presqu’île… Il manœuvrait comme le font les bâtiments qui cherchent à relever le cap Pillar pour sortir de Storm-Bay.

Et, après cette mortelle attente de toute une journée, voici que la nuit tombait !… Évanoui cet espoir que l’heure du salut était proche, que ce navire les prendrait à son bord !… Il s’éloignait de la presqu’île et gagnait la pleine mer !…

Ainsi, ce n’était pas l’Illinois, annoncé par Walter, dont les fugitifs apercevaient la fumée !… Le steamer américain était resté sur la rade d’Hobart-Town… Mais il était temps encore !… Peut-être arriverait-il au milieu de la nuit ?…

Eh bien, on l’attendrait, on le guetterait ! Dès que l’obscurité serait faite, O’Brien, Farnham, Macarthy traverseraient la grève, se porteraient à l’extrémité de la pointe Saint-James, se blottiraient entre les dernières roches… Et, si un steamer s’approchait, ils entendraient dans l’ombre les halètements de sa machine et les bouillonnements de son hélice… Et, s’il envoyait une de ses embarcations, ils la héleraient, et elle se dirigerait à travers les récifs de la crique… Enfin, si le ressac l’empêchait d’atterrir, ils se jetteraient à la mer, ils seraient recueillis, et transportés à bord de l’Illinois !… Oui ! ainsi que l’avait dit O’Brien, dussent-ils y perdre la vie, tout plutôt que de retourner au bagne !

Le soleil venait de disparaître derrière l’horizon. À cette époque de l’année, l’espace ne serait que peu de temps éclairé par les derniers reflets du crépuscule. La baie et le littoral ne tarderaient point à se confondre dans les ombres de la nuit. La lune, alors en son dernier quartier, ne se lèverait pas avant trois heures du matin. Sous un ciel sans étoiles, voilé de nuages immobiles, la nuit serait obscure.

En ce moment, un profond silence régnait au large. La brise, ayant calmi vers le soir, ne passait plus que par souffles intermittents. Du côté de la baie, même à la distance de deux à trois