Page:Verne - Les Indes noires, 1877.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
les indes-noires.

— C’est inutile, Harry », dit d’une voix ferme et claire la jeune fille, qui entrait au moment même dans la grande salle du cottage.

Nell était pâle. Ses yeux disaient combien elle avait pleuré ; mais on la sentait résolue à la démarche que sa loyauté lui commandait en ce moment.

« Nell ! s’était écrié Harry, en s’élançant vers la jeune fille.

— Harry, répondit Nell, qui d’un geste arrêta son fiancé, ton père, ta mère et toi, il faut aujourd’hui que vous sachiez tout. Il faut que vous n’ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne l’enfant que vous avez accueillie sans la connaître et qu’Harry pour son malheur, hélas ! a tirée de l’abîme.

— Nell ! s’écria Harry.

— Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence à Harry.

— Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n’ai jamais connu de mère que le jour où je suis entrée ici, ajouta-t-elle en regardant Madge.

— Que ce jour soit béni, ma fille ! répondit la vieille Écossaise.

— Je n’ai jamais connu de père que le jour où j’ai vu Simon Ford, reprit Nell, et d’ami que le jour où la main d’Harry a touché la mienne ! Seule, j’ai vécu pendant quinze ans, dans les recoins les plus reculés de la mine, avec mon grand-père. Avec lui, c’est beaucoup dire. Par lui serait plus juste. Je le voyais à peine. Lorsqu’il disparut de l’ancienne Aberfoyle, il se réfugia dans ces profondeurs que lui seul connaissait. À sa façon, il était alors bon pour moi, quoique effrayant. Il me nourrissait de ce qu’il allait chercher au-dehors ; mais j’ai le vague souvenir que, d’abord, pendant mes plus jeunes années, j’ai eu pour nourrice une chèvre, dont la perte m’a bien désolée. Grand-père, me voyant si chagrine, la remplaça d’abord par un autre animal, — un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien était gai. Il aboyait. Grand-père n’aimait pas la gaieté. Il avait horreur du bruit. Il m’avait appris le silence, et n’avait pu l’apprendre au chien. Le pauvre animal disparut presque aussitôt. Grand-père avait pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d’abord me fit horreur ; mais cet oiseau, malgré la répulsion qu’il m’inspirait, me prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en était venu à m’obéir mieux qu’à son maître, et cela même m’inquiétait pour lui. Grand-père était jaloux. Le harfang et moi, nous nous cachions le plus que nous pouvions d’être trop bien ensemble ! Nous comprenions qu’il le fallait !… Mais c’est trop vous parler de moi ! C’est de vous qu’il s’agit…

— Non, ma fille, répondit James Starr. Dis les choses comme elles te viennent.

— Mon grand-père, reprit Nell, avait toujours vu d’un très mauvais œil votre