Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/108

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cap au large, toutes voiles dehors. À bord, on distinguait quatre hommes dont la distance empêchait de reconnaître les traits.

Quelques mots rapidement échangés lui apprirent ce qui s’était passé. On avait profité, pour sauter à bord du bateau, d’une courte absence de Karroly et de son fils. Quand ceux-ci s’étaient aperçus du rapt, il était trop tard pour s’en défendre.

À mesure qu’ils revenaient du nouveau campement, les émigrants se rassemblaient en nombre croissant autour du Kaw-djer et de ses deux compagnons. Impuissants et désarmés, ils regardaient en silence la chaloupe que la brise inclinait gracieusement. C’était un malheur sérieux pour tous les naufragés, qui perdaient à la fois un précieux moyen d’accélérer leur travail actuel, et la possibilité de se mettre au besoin en communication avec le reste du monde. Mais, pour les propriétaires de la Wel-Kiej, le malheur se transformait en désastre.

Toutefois, le Kaw-djer ne montrait par aucun signe la colère dont son cœur devait déborder. Le visage fermé, froid, impassible, comme toujours, il suivait des yeux le bateau. Bientôt, celui-ci disparut derrière une saillie du rivage. Aussitôt le Kaw-djer se retourna vers le groupe qui l’entourait :

« Au travail ! » dit-il d’une voix calme.

On se remit à l’ouvrage avec une nouvelle ardeur. La perte de la chaloupe rendait nécessaire une hâte plus grande, si l’on voulait être prêt avant que l’hiver ne fût définitivement installé. Même, il y avait lieu de s’applaudir que ce vol abominable n’eût pas été commis dès les premiers jours du transport. Peut-être, dans ce cas, eût-il été impossible d’en venir à bout. Fort heureusement, à cette date du 10 mai, il était presque terminé et un peu de courage devait suffire à le mener à bonne fin.

Les émigrants admiraient la sérénité du Kaw-djer. Rien n’était changé dans son attitude habituelle, et il continuait à faire preuve de la même bonté et du même dévouement que par le passé. Son influence en fut notablement accrue.

Un incident, au cours de cette journée du 10 mai, acheva de le rendre tout à fait populaire.

Il aidait à ce moment à traîner l’un des chariots sur lequel étaient entassés plusieurs sacs de semences, quand son attention fut attirée par des cris de douleur. S’étant dirigé rapidement vers l’endroit d’où venaient ces cris, il découvrit un enfant d’une