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un littoral très déchiqueté, depuis le promontoire d’Espiritu Santo jusqu’au Magdalena Sound. Après avoir projeté vers l’Ouest une presqu’île tout effilochée que domine le mont Sarmiento, elle se prolonge, au Sud-Est, par la pointe de San-Diego, sorte de sphinx accroupi dont la queue trempe dans les eaux du détroit de Lemaire.

C’est dans cette grande île, au mois d’avril 1880, que se sont passés les faits qui viennent d’être racontés. Ce canal que le Kaw-djer avait sous les yeux pendant sa fiévreuse méditation, c’est le canal du Beagle, qui court au sud de la Terre de Feu et dont la rive opposée est formée par les îles Gordon, Hoste, Navarin et Picton. Plus au Sud encore, s’éparpille le capricieux archipel du cap Horn.

Près de dix ans avant le jour choisi comme point de départ à ce récit, celui que les Indiens devaient plus tard appeler le Kaw-djer avait été pour la première fois rencontré sur le littoral fuégien. Comment s’y était-il transporté ? Sans doute à bord de l’un des nombreux bâtiments, voiliers et steamers, qui suivent les détours du labyrinthe maritime de la Magellanie et des îles qui la prolongent sur l’Océan Pacifique, en faisant avec les indigènes le commerce des pelleteries de guanaques, de vigognes, de nandous et de loups marins.

La présence de cet étranger pouvait s’expliquer aisément de la sorte, mais, quant à savoir quel était son nom, de quelle nationalité il relevait, s’il se rattachait par sa naissance à l’Ancien ou au Nouveau-Monde, c’étaient là autant de questions auxquelles il eût été malaisé de répondre.

On ignorait tout de lui. Nul, d’ailleurs, il convient de l’ajouter, n’avait jamais cherché à se renseigner à son sujet. Dans ce pays où n’existait aucune autorité, qui aurait eu qualité pour l’interroger ? Il n’était pas dans un de ces États organisés où la police s’inquiète du passé des gens et où il est impossible de demeurer longtemps inconnu. Ici, personne n’était dépositaire d’une puissance quelconque, et l’on pouvait vivre en dehors de toutes coutumes, de toutes lois, dans la plus complète liberté.

Pendant les deux premières années qui suivirent son arrivée à la Terre de Feu, le Kaw-djer ne chercha pas à se fixer sur un point plutôt que sur un autre. Sillonnant la contrée de ses courses vagabondes, il se mit en relations avec les indigènes,