Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/30

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dont aucune instance ne put triompher. Il semblait qu’il ne voulût pas remettre le pied là où il ne sentait plus le sol libre.

Vers la fin de la deuxième année de son séjour, il se produisit un incident dont les conséquences devaient avoir une certaine influence sur sa vie ultérieure.

Si le Kaw-djer s’obstinait à ne pas aller à la bourgade chilienne de Punta-Arenas, qui est située sur le territoire de la Patagonie, les Patagons ne se privent pas d’envahir parfois le territoire magellanique. Eux et leurs chevaux transportés en quelques heures sur la rive sud du détroit de Magellan, ils font de longues excursions, ce qu’on appelle en Amérique de grands raids, d’une extrémité à l’autre de la Terre de Feu, attaquant les Fuégiens, les rançonnant, les pillant, s’emparant des enfants qu’ils emmènent en esclavage dans les tribus patagones.

Entre les Patagons ou Tchnelts et les Fuégiens, il existe des différences ethniques assez sensibles sous le rapport de la race et des mœurs, les premiers étant infiniment plus redoutables que les seconds. Ceux-ci vivent de la pêche et ne se réunissent guère que par familles, tandis que ceux-là sont chasseurs et forment des tribus compactes sous l’autorité d’un chef. En outre, la taille des Fuégiens est un peu inférieure à celle de leurs voisins du continent. On les reconnaît à leur grosse tête carrée, aux pommettes saillantes de leur face, à leurs sourcils clairsemés, à la dépression de leur crâne. En somme, on les tient pour des êtres assez misérables, dont la race n’est pas près de finir cependant, car le nombre des enfants est considérable, autant, pourrait-on dire, que celui des chiens qui grouillent autour des campements.

Quant aux Patagons, ils sont de haute stature, vigoureux et bien proportionnés. Dénués de barbe, ils laissent pendre leurs longs cheveux noirs maintenus sur le front par un bandeau. Leur figure olivâtre est plus large aux mâchoires qu’aux tempes, leurs yeux s’allongent quelque peu suivant le type mongol, et, de part et d’autre d’un nez largement épaté, leurs yeux brillent du fond d’orbites assez rétrécies. Intrépides et infatigables cavaliers, il leur faut de larges espaces à franchir avec leurs non moins infatigables montures, d’immenses pâturages pour la nourriture de leurs chevaux, des terrains de chasse où ils poursuivent le guanaque, la vigogne et le nandou.