Quand même on le voudrait, ni Kennedy ni moi ne pourrions faire entrer cinq cents hommes incognito.
— Pas besoin qu’ils entrent tous à la fois, objecta Sirdey. Une cinquantaine, trente même, ce serait suffisant. Pendant que les premiers tiendraient le coup, les autres passeraient.
— Cinquante, trente, vingt, dix, c’est encore trop.
— C’est ton dernier mot ?
— Le premier et le dernier.
— C’est non ?
— C’est non.
— N’en parlons plus, conclut Sirdey qui commença à ramper dans la direction de la rivière.
Mais presque aussitôt il s’arrêta, et, relevant les yeux vers Patterson :
— Les Patagons paieraient, tu sais.
— Combien ?
Le mot jaillit tout seul des lèvres de Patterson. Sirdey se rapprocha.
— Mille piastres, dit-il.
Mille piastres !… Cinq mille francs !… Malgré l’importance de la somme, Patterson autrefois n’en eût pas été ébloui. La rivière lui avait pris bien davantage. Mais, maintenant, il ne possédait plus rien. À peine si, depuis un an, au prix d’un travail acharné, il avait réussi à économiser vingt-cinq piastres. Ces vingt-cinq misérables piastres constituaient à cette heure toute sa fortune. Sans doute elle croîtrait désormais plus vite. Les occasions de l’augmenter ne manqueraient pas. Le plus dur, il le savait par expérience, c’est la première mise. Mais mille piastres !… Gagner en un instant quarante fois le produit de dix-huit mois d’efforts !… Sans compter qu’il était peut-être possible d’obtenir mieux encore, car, dans tout marché, il est classique de marchander.
— Ce n’est pas lourd, dit-il d’un air dégoûté. Pour une affaire où on risque sa peau, il faudrait jusqu’à deux mille…
— Dans ce cas, bonsoir, répliqua Sirdey en esquissant un nouveau mouvement de retraite.
— Ou au moins jusqu’à quinze cents, poursuivit Patterson sans se laisser intimider par cette menace de rupture.
Il était maintenant sur son terrain : le terrain du négoce. Il