Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/467

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Quelques jours plus tard, comme pour justifier cette énergie que rien ne pouvait abattre, un courant de réaction beaucoup plus important que les précédents se dessina parmi les Hosteliens. C’est qu’aussi la situation devenait impossible sur les placers. En compétition avec des aventuriers sans scrupule, qui considéraient un coup de couteau comme un très naturel argument de discussion, la partie pour eux était trop inégale. Ils renonçaient donc à la lutte, et venaient se réfugier près d’un chef à qui ils n’étaient pas loin d’attribuer un pouvoir sans limites, depuis qu’ils en connaissaient le véritable nom. En quelques jours, tant à Libéria que dans le reste de l’île, tout le monde eut repris sa situation antérieure.

Parmi ceux qui revenaient, on eût vainement cherché Kennedy, demeuré sur les placers avec les aventuriers ses pareils. De mauvais bruits continuaient à courir sur l’ancien matelot. Comme l’année précédente, personne ne l’avait vu laver ni prospecter pour son compte, et sa présence avait encore coïncidé à plusieurs reprises avec des vols, et même, par deux fois, avec des assassinats ayant le vol pour mobile. De ces racontars à une accusation franche, il n’y avait qu’un pas.

Ce pas, on ne pouvait, pour l’instant tout au moins, espérer le franchir. Dans ce pays troublé, toute enquête eût été impossible. Que les bruits fussent fondés ou non, il fallait renoncer à les tirer au clair.

La nature du Kaw-djer était trop haute pour connaître la rancune. Mais, quand bien même il en eût été capable, l’aspect des colons eût suffi à la dissiper. Ils revenaient déchus, dans un état de misère et d’épuisement lamentables. Dans cette population nomade, qui avait ramassé les germes morbides de tous les ciels, et qui grouillait sur les placers, presque sans abri, exposée aux intempéries d’un climat souvent orageux en été, respirant l’air des marécages dont elle remuait les boues malsaines, la maladie s’était déchaînée avec rage. Les Libériens regagnaient leur ville, amaigris, tremblants de fièvre, et, durant un long mois, le Dr Arvidson ne suffisant pas à la tâche, le Kaw-djer fut plutôt médecin que gouverneur.

Malgré tout, cependant un grand espoir le transportait. Cette fois, il avait conscience que son peuple lui était rendu. Il le sentait vibrant dans sa main, accablé de ses fautes et frémissant du