Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/504

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peu de minutes, était depuis longtemps terminé quand l’Indien fut introduit.

« Tu vas charger la Wel-Kiej de ces objets, dit le Kaw-djer qui tendit à Karroly une liste sur laquelle figuraient, outre une certaine quantité de vivres, de la poudre, des balles et des sacs de semences de diverses sortes. »

Malgré ses habitudes d’aveugle dévouement, Karroly ne put s’empêcher de poser quelques questions. Le Kaw-djer allait donc partir pour un voyage ? Pourquoi alors ne prenait-il pas le cotre du port, au lieu de la vieille chaloupe ? Mais, à ces questions, le Kaw-djer ne répondit que par un mot :

— Obéis. »

Karroly parti, il fit appeler Dick.

« Mon enfant, dit-il en lui remettant le pli qu’il venait de clore, voici un document que je te donne. Il t’appartient. Tu l’ouvriras demain au lever du soleil.

— Il sera fait ainsi, promit Dick simplement.

La surprise qu’il devait éprouver, il ne l’exprima pas. Si grand était l’empire qu’il avait acquis sur lui-même qu’il ne la trahit par aucun signe. C’était un ordre qu’il avait reçu. Un ordre s’exécute et ne se discute pas.

— Bien ! dit le Kaw-djer. Maintenant, va, mon enfant, et conforme-toi scrupuleusement à mes instructions. »

Seul, le Kaw-djer s’approcha de la fenêtre et souleva le rideau. Longuement, il regarda au dehors, afin de graver dans sa mémoire ce qu’il ne devait plus revoir. Devant lui, c’était Libéria, et, plus loin, le Bourg-Neuf, et, plus loin encore, les mâts des navires amarrés dans le port. Le soir tombait, arrêtant le travail du jour. D’abord, la route du Bourg-Neuf s’anima, puis les fenêtres des maisons brillèrent dans l’ombre grandissante. Cette ville, cette activité laborieuse, ce calme, cet ordre, ce bonheur, c’était son œuvre. Tout le passé s’évoqua à la fois, et il soupira de fatigue et d’orgueil.

Le temps était enfin venu de songer à lui-même. Sans marchander, il allait disparaître de cette foule dont il avait fait un peuple riche, heureux, puissant. Maître pour maître, ce peuple ne s’apercevrait pas du changement. Lui, du moins, il irait mourir, comme il avait vécu, dans la liberté.

Il n’attristerait d’aucun adieu ce départ qui était une déli-