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Page:Verne - Les Tribulations d’un Chinois en Chine.djvu/111

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kin-fo, ses deux acolytes et son valet.

« Aux brancards ! cria Kin-Fo d’un certain ton qui n’admettait pas de réplique.

— Maître… que… moi… je !… répondit Soun, dont les jambes fléchissaient d’avance, comme celles d’un cheval surmené.

— Ne t’en prends qu’à toi, qu’à ta langue et à ta sottise !

— Allons, Soun ! dirent Fry-Craig.

— Aux brancards ! répéta Kin-Fo en regardant ce qui restait de queue au malheureux valet. Aux brancards, animal, et veille à ne point buter, ou sinon !… »

L’index et le médius de la main droite de Kin-Fo, rapprochés en forme de ciseaux, complétèrent si bien sa pensée, que Soun passa la bretelle à ses épaules et saisit le brancard des deux mains. Fry-Craig se postèrent des deux côtés de la brouette, et, la brise aidant, la petite troupe détala d’un léger trot.

Il faut renoncer à peindre la rage sourde et impuissante de Soun, passé à l’état de cheval ! Et cependant, souvent Craig et Fry consentirent à le relayer. Très heureusement, le vent du sud leur vint constamment en aide, et fit les trois quarts de la besogne. La brouette étant bien équilibrée par la position de la roue centrale, le travail du brancardier se réduisait à celui de l’homme de barre au gouvernail d’un navire : il n’avait qu’à se maintenir en bonne direction.

Et c’est dans cet équipage que Kin-Fo fut entrevu dans les provinces septentrionales de la Chine, marchant lorsqu’il sentait le besoin de se dégourdir les jambes, brouetté quand, au contraire, il voulait se reposer.

Ainsi Kin-Fo, après avoir évité Houan-Fou et Cafong, remonta les berges du célèbre canal Impérial, qui, il y a vingt ans à peine, avant que le fleuve jaune eût repris son ancien lit, formait une belle route navigable depuis Sou-Tchéou, le pays du thé, jusqu’à Péking, sur une longueur de quelques centaines de lieues.

Ainsi il traversa Tsinan, Ho-Kien, et pénétra dans la province de Pé-Tché-Li, où s’élève Péking, la quadruple capitale du Céleste Empire.

Ainsi il passa par Tien-Tsin, que défendent un mur de circonvallation et deux forts, grande cité de quatre cent mille habitants, dont le large port, formé par la jonction du Peï-ho et du canal Impérial, fait, en important des cotonnades de Manchester, des lainages, des cuivres, des fers, des allumettes allemandes, du bois de santal, etc., et en exportant des jujubes, des feuilles