Page:Verne - Les Tribulations d’un Chinois en Chine.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
les tribulations d’un chinois en chine

Hong-Kong. Très mêlé au mouvement européen, c’étaient les steamers anglais qui transportaient ses marchandises, c’était le câble électrique qui lui donnait le cours des soieries à Lyon et de l’opium à Calcutta. Aucun de ces agents du progrès, vapeur ou électricité, ne le trouvait réfractaire, ainsi que le sont la plupart des Chinois, sous l’influence des mandarins et du gouvernement, dont ce progrès diminue peu à peu le prestige.

Bref, Tchoung-Héou manœuvra si habilement, aussi bien dans son commerce avec l’intérieur de l’Empire que dans ses transactions avec les maisons portugaises, françaises, anglaises ou américaines de Shang-Haï, de Macao et de Hong-Kong, qu’au moment où Kin-Fo venait au monde, sa fortune dépassait déjà quatre cent mille dollars[1].

Or, pendant les années qui suivirent, cette épargne allait être doublée, grâce à la création d’un trafic nouveau, qu’on pourrait appeler le « commerce des coolies du Nouveau-Monde ».

On sait, en effet, que la population de la Chine est surabondante et hors de proportion avec l’étendue de ce vaste territoire, diversement mais poétiquement nommé Céleste Empire, Empire du Milieu, Empire ou Terre des Fleurs.

On ne l’évalue pas à moins de trois cent soixante millions d’habitants. C’est presque un tiers de la population de toute la terre. Or, si peu que mange le Chinois pauvre, il mange, et la Chine, même avec ses nombreuses rizières, ses immenses cultures de millet et de blé, ne suffit pas à le nourrir. De là un trop-plein qui ne demande qu’à s’échapper par ces trouées que les canons anglais et français ont faites aux murailles matérielles et morales du Céleste Empire.

C’est vers l’Amérique du Nord et principalement sur l’État de Californie, que s’est déversé ce trop-plein. Mais cela s’est fait avec une telle violence, que le Congrès a dû prendre des mesures restrictives contre cette invasion, assez impoliment nommée « la peste jaune ». Ainsi qu’on l’a fait observer, cinquante millions d’émigrants chinois aux États-Unis n’auraient pas sensiblement amoindri la Chine, et c’eût été l’absorption de la race anglo-saxonne au profit de la race mongole.

Quoi qu’il en soit, l’exode se fit sur une vaste échelle. Ces coolies, vivant d’une poignée de riz, d’une tasse de thé et d’une pipe de tabac, aptes à tous les

  1. Environ deux millions de francs.